Les familles Coleman et Waterhouse ont des tombes voisines dans un cimetière de Londres. Leurs filles, Maude et Lavinia, sont devenues les meilleures amies du monde. Les pères se fréquentent de loin en loin et les mères n’ont rien en commun. Les gamines aiment par-dessus tout se promener dans le cimetière et admirer les anges de pierre qui surplombent les tombes, guidées par Simon, le fils du fossoyeur. « Ils sont les messagers de Dieu et ils apportent l’amour. Il me suffit de regarder leur doux visage pour me sentir en paix et à l’abri du mal. » (p. 41) Du haut de leur jeune âge, elles pensent que leur amitié sera éternelle et que rien ne pourra bouleverser leurs vies. C’est compter sans Kitty Coleman par qui, plus ou moins indirectement, le malheur va s’abattre sur les deux familles. La jeune femme n’est pas heureuse et trouve un sens à son existence morne en rejoignant le mouvement des suffragettes, au grand dam de son époux et de sa belle-mère.
Cette lecture m’a moins enchantée que le roman À l’orée du verger, mais je retiens tout de même la construction de la narration en vue subjective, faite de passages de relais entre différents narrateurs qui reprennent l’histoire là où elle est laissée, de leur point de vue. La vue d’ensemble est forcément chamarrée, mais très complète et riche de différents niveaux de langage. On fait un grand écart époustouflant en passant de la domestique Jenny Whitby à la vieille et sévère Edith Coleman ! On se demande parfois à qui parlent les protagonistes : est-ce une pensée intérieure ou une adresse plus ou moins consciente au lecteur ? Peu importe, finalement, ce qui compte, c’est que l’on est emporté dans cette histoire. Hélas, le rythme est parfois dodelinant, même si la dernière partie du roman secoue fortement ! Alors que la mort n’avait fait que flotter sur tout le récit, elle s’abat brutalement et la fin est tragique à plus d’un titre.
Étrange de voir que Maude et Lavinia n’ont finalement pas grand-chose en commun. Lors de leur rencontre, elles rêvaient toutes deux de trouver une amie : pas besoin de chercher plus loin, d’autant plus qu’elles partagent une étrange passion pour les anges. Mais Lavinia est une jeune personne pétrie de considérations morales vieillottes alors que Maude est plus pragmatique et moins sensible. Pour tout dire, j’ai trouvé Lavinia franchement insupportable et Maude se range à mon avis au fil du roman. « Lavinia a déchaîné ce qu’il y a pire en moi, et il beaucoup plus difficile de vivre avec ça qu’avec ses remarques. J’ai appris à m’attendre à ses remarques stupides, et je me suis en général débrouillée pour ne pas tomber à son niveau. » (p. 203)
Comme souvent, je préfère le titre original de l’œuvre. Ici, Falling Angels illustre bien mieux la trajectoire des différents personnages du roman. La traduction française me laissait attendre une harmonie merveilleuse, ce qui est tout à fait absent du texte. Sans être décevante, cette lecture me laisse donc un sentiment ténu de frustration.