Quatrième de couverture : En 1941, Dorrigo Evans, jeune officier médecin, vient à peine de tomber amoureux lorsque la guerre s’embrase et le précipite, avec son bataillon, en Orient puis dans l’enfer d’un camp de travail japonais, où les captifs sont affectés à la construction d’une ligne de chemin de fer en pleine jungle, entre le Siam et la Birmanie. Maltraités par les gardes, affamés, exténués, malades, les prisonniers se raccrochent à ce qu’ils peuvent pour survivre – la camaraderie, l’humour, les souvenirs du pays. Au cœur de ces ténèbres, c’est l’espoir de retrouver Amy, l’épouse de son oncle avec laquelle il vivait sa bouleversante passion avant de partir au front, qui permet à Dorrigo de subsister. Cinquante ans plus tard, sollicité pour écrire la préface d’un ouvrage commémoratif, le vieil homme devenu après-guerre un héros national convoque les spectres du passé. Ceux de tous ces innocents morts pour rien, dont il entend honorer le courage. Ceux des bourreaux, pénétrés de leur « devoir », guidés par leur empereur et par la spiritualité des haïkus. Celui d’Amy enfin, amour absolu et indépassable, qui le hante toujours. Les voix des victimes et des survivants se mêlent au chant funèbre de Dorrigo, se répondent et font écho. À travers elles, la « Voie ferrée de la Mort », tragédie méconnue de la Seconde Guerre mondiale, renaît sous nos yeux, par-delà le bien et le mal, dans sa grandeur dérisoire et sa violence implacable.
Voilà un roman dense et un peu confus. Alors qu’il commence comme étant les mémoires de Dorrigo, il change de forme avec le point de vue qui passe d’un personnage à un autre. Comment Dorrigo peut-il faire parler des personnes qu’il n’a pas revues depuis la guerre ou qu’il n’a jamais croisées ? On pourrait croire qu’il imagine tout cela, mais ce n’est pas ainsi que les choses sont présentées. Or, du point de vue de la construction, ça ne fonctionne pas. Oui, je sais, depuis quelque temps, je suis obsédée par la cohérence et la crédibilité de l’intrigue. Dernier bémol, la première de couverture ne colle pas du tout, selon moi, au contenu du roman.
Dans l’ensemble, le roman n’est pas déplaisant. Il lève le voile sur cet épisode méconnu qu’est la construction de la voie ferrée par des prisonniers de guerre, sous la tutelle brutale et cruelle d’officiers japonais. On entend beaucoup parler de cette ligne, mais on voit très peu sa construction. C’est une sorte de menace, de monstre dans l’ombre, même s’il apparaît clairement que le chantier était infernal. J’ai un peu le sentiment d’être passée à côté de cette lecture dont j’avais entendu grand bien et dont j’espérais beaucoup. J’en retiens cependant de très beaux passages et le style puissant de l’auteur.
« Sans s’expliquer pourquoi, il était récemment devenu un héros de la guerre, un chirurgien réputé, le symbole officiel d’une époque et d’une tragédie, à qui l’on consacrait des biographies, des pièces de théâtre et des documentaires. » (p. 28)
« Cette voie ferrée est un champ de bataille au même titre que la ligne de front en Birmanie. […] Impossible de distinguer entre des actes humains et inhumains. Impossible de désigner quelqu’un, de dire : celui-ci est un homme, celui-là un démon. […] On est en guerre, et la guerre transcende ces catégories. » (p. 134)
« L’enjeu, ce n’est pas seulement la voie ferrée, bien qu’il faille la construire. Ni même la guerre, bien qu’il faille la gagner. L’enjeu, c’est d’apprendre aux Européens qu’ils ne sont pas la race supérieure. [..] / Et de nous convaincre que c’est nous. » (p. 143)
« Le souvenir ne ressemble que de loin à la justice, […], ce n’est jamais qu’une idée fausse qui donne bonne conscience. » (p. 262)
« Le monde continuait de tourner sans jamais s’arrêter. On avait beau lui faire la guerre, c’était toujours lui qui gagnait. Qu’y pouvait-on ? » (p. 298)