Ismaël, le narrateur de « la noire tragédie de ce navire de mélancolie » (p. 591), est dégoûté de la société et décide de s’embarquer à bord d’un baleinier. Il est embauché sur le Péquod, dirigé par le capitaine Achab. L’objectif du navire est évidemment d’alimenter le marché de la baleine, mais le capitaine veut en réalité se venger de Moby Dick, cachalot blanc qui lui arraché la jambe « Elle a été dévorée, mâchée, broyée par le plus monstrueux cachalot qui ait jamais fait voler en éclats un bateau. » (p. 101)
Que le démarrage est long avant l’embarquement ! Il y a de nombreux chapitres présentant les préparatifs et la rencontre entre Ismaël et Queequeg, le cannibale harponneur, d’où naît une forte amitié. Mais une fois le Péquod lancé sur les flots, l’intrigue ne progresse pas pour autant rapidement. Ismaël décrit avec minutie les techniques de chasse à la baleine et présente toute l’étendue de son savoir sur les cétacés. « Vu sa masse imposante, la baleine est un sujet rêvé pour exagérer, et, d’une façon générale, discourir et s’étendre. Le voudriez-vous que vous ne la pourriez réduire. […] Puisque j’ai entrepris de manier ce Léviathan, il m’incombe de me montrer à la hauteur de ma tâche, de ne pas négliger la plus minuscule cellule de son sang et de raconter jusqu’au moindre repli de ses entrailles. » (p. 550) C’est véritablement une encyclopédie qu’il propose.
Témoin de la chasse et participant à toutes les tâches à bord, Ismaël s’implique cependant très peu dans l’intrigue et n’a étonnamment aucune interaction avec le capitaine Achab. Mais son récit laisse entendre qu’il a pleinement embrassé le but de ce voyage. « Une sympathie occulte et farouche me possédait, la haine dévorante d’Achab devenait mienne. Je tendis une oreille avide à l’histoire de ce monstre sanguinaire, contre lequel j’avais avec tous les autres, juré vengeance. » (p. 229) Dans la tradition baleinière qui existe depuis Job, il est question des nombreuses légendes sur ce monstre immense, créature haïe et fantasmée dont la mise à mort industrielle par les hommes ensanglante la mer. Le cachalot blanc est terrible, mais innocent et pur dans sa brutalité.
Moby Dick est un roman complexe et riche, offrant plusieurs niveaux de lecture. L’auteur développe des réflexions sur les différentes religions du monde et la recherche des preuves de Dieu. La chasse donnée à la bête à la mâchoire difforme s’apparente à une quête métaphysique, mais négative. Mort à Moby Dick ! Que Dieu nous donne à tous la chasse, si nous ne la donnons pas à Moby Dick jusqu’à sa mort ! » (p. 215) La vengeance enragée d’Achab est teintée d’orgueil : entre lui et Moby Dick, c’est une lutte titanesque qui oppose le Mal et le Bien dont l’issue sera nécessairement fatale. « Oh ! Achab, […], il n’est pas trop tard, même en ce troisième jour, pour renoncer. Vois, Moby Dick ne te cherche pas ! C’est toi, toi seul qui le cherches de ta folie ! » (p. 684)
Il ne faut pas se laisser décourager par la densité de ce roman. L’histoire est puissante, la langue est passionnante et érudite, le sujet est vaste et multiple. N’hésitez pas, lancez-vous aussi à la poursuite de Moby Dick !