Texte de Philippe Claudel.
Acheter des hommes, épouser des ourses, perdre son sexe, attaquer des véhicules, oublier le prénom et le sexe de son enfant, torturer le père Noël, congeler des bébés, se suicider en bonne compagnie, etc. Tout cela vous semble atroce, barbare, inhumain ? C’est pourtant à cela que se livre le narrateur. Ici, on tue sans vergogne, par hygiène, voire par amour. La cruauté est goguenarde et décomplexée, à moins qu’elle ne soit lasse et désabusée. Férocité jouisseuse ou désespoir hilare ? À vous de juger !
Dans cette brève succession de chapitres fulgurants, par une narration linéaire qui n’introduit aucune rupture entre le récit et les dialogues, Philippe Claudel imagine le pire de ce que peut commettre l’homme et tourne en dérision des faits divers hélas trop communs, avec cynisme et mélancolie. Ce texte ne ressemble en rien à ceux qui me touchent tant, notamment ceux qui parlent du deuil, mais il est formidablement percutant. Dérangeant, sans aucun doute, mais salutaire en un sens. Et la plume de Philippe Claudel est de celle dont je ne veux perdre aucune manifestation.
Quelques morceaux choisis pour vous mettre en appétit.
« Nous traitons de l’extermination des Juifs. Encore. Ma femme et moi avons dit le mot en même temps. Oui. Encore. Tous les ans, c’est la même chose. Oui. Ce n’est plus une extermination. C’est un refrain. » (p. 23)
« L’annonce était formulée ainsi. Vends Dieu. Deux mille ans. État correct. Prix à débattre. » (p. 36)
« Que serait notre bref passage sur terre si nous ne consacrions pas un peu de temps et d’amour à nos semblables. » (p. 52)
« Mes chers compatriotes, j’aimerais vous dire d’aller vous faire foutre, mais la tradition m’oblige à vous présenter mes vœux pour la nouvelle année qui commence. » (p. 65)
« La vie devient supportable quand on la feinte. Enfin presque. » (p. 88)