Né sous X, le narrateur a été adopté par les très aimants Henri et Mariette. Devenu adulte, mari et père, il n’a jamais cherché à retrouver ses parents. C’est donc avec étonnement que ce bibliothécaire passionné de livres hérite de la bibliothèque de sa mère biologique. « Ma mère, comme dans un conte cruel pour enfants, s’était transformée en livres. Plus rien ne subsistait d’elle que ces innombrables pages serrées les unes contre les autres. C’était son faire-part de décès. » (p. 75) Face aux 38 cartons qui contiennent les 1144 livres de cette inconnue, l’homme s’interroge. Faut-il garder ces livres ou s’en défaire ? Comment accepter ce don fait par une mère ignorée, qui n’est même pas une mère et ne le sera jamais ? Retrouvé par cette génitrice désormais pour toujours inaccessible, l’enfant devenu homme ne veut pourtant pas remonter ses origines et se retrouve bien encombré de cette génitrice qui ne lui manquait pas. Cependant, les cartons se vident peu à peu, sans donner de réponses, sans dessiner les contours de cette femme. « Dresser le portrait d’un lecteur d’après ses livres, […], est une entreprise par bonheur vouée à l’échec. » (p. 89) Pourtant, l’homme cherche des traces, des indices, jusqu’à décider de ne prendre ces livres que pour ce qu’ils sont.
Superbe déclaration d’amour aux livres qui nous fascinent et nous façonnent, ce roman célèbre la littérature et le lien invisible qu’il crée entre des inconnus. Le style de Jean Berthier est puissant, très beau et il se déploie amplement, emportant le lecteur dans une balade suave au fil des livres. Je retiens les très doux mots qu’il a pour décrire la beauté de la relation mère-fils, surtout quand elle est choisie par la première et embrassée par le second. Et qu’elle est étrange et particulière, la poésie des indications d’éditeur que personne ne lit dans les premières et les dernières pages des livres : nombre de tirages, achevé d’imprimé, dépôt légal… Ce sont presque des incantations mystiques, tellement précieuses et lourdes de sens pour les amoureux des livres et des belles éditions.
Je vous laisse avec quelques très beaux extraits de ce livre parfaitement réussi et bouleversant.
« Je suis né après le jour de ma naissance. » (p. 7)
« La question revint pour la centième fois à mon esprit de savoir si ma mère avait fait ce legs dans l’ignorance qu’elle était de mon métier ou le connaissant. » (p. 68)
« On fait des livres le sanctuaire de la mémoire ; mais ils sont tout autant le puits sans fond de l’oubli. » (p. 81)
« Nul n’entre dans une bibliothèque s’il n’a déjà été saisi d’effroi ; nul n’y demeure s’il n’a laissé au-dehors les illusions du monde ; mais nul n’en sort car elle émet plus de lumière que les ténèbres extérieures. » (p. 100)
« Ces livres mêmes entassaient silence sur silence. Leurs mots ne me conduiraient jamais jusqu’à elle. » (p. 103)
« Comme on a peu lu quand on a beaucoup lu ! » (p. 113 & 114)