Roman de Margaret Atwood.
« Tu ne peux pas coupler indéfiniment une accessibilité minimale à l’alimentation et une population en expansion. » (p. 121) Après une explosion incontrôlée du progrès et des expériences scientifiques et génétiques, le monde a été ravagé par une épidémie qui a décimé l’humanité et par une catastrophe écologique qui a changé la face de la planète. Ne reste que Snowman, le dernier homme. Il survit tant bien que mal et prend soin des enfants de Crake. Ces derniers sont une création génétique complète, faite de croisements, d’implantations et d’innovations. Les enfants de Crake sont parfaitement adaptés à la vie dans la nature et ne sont pas une menace pour celle-ci. « Comparé à eux, il est vraiment trop étrange ; ils lui donnent le sentiment d’être difforme. » (p. 44) Désormais, n’étant plus la norme, c’est l’humain qui est l’anomalie, l’abomination. Pour trouver un sens à son peu de vie, Snowman s’est fait la voix de Crake et d’Oryx qu’il a érigés en divinité, se donnant lui-même le rôle de prophète. « Il a besoin d’être écouté, il a besoin d’être entendu. Il a besoin d’avoir au moins l’illusion d’être compris. » (p. 106)
Ça vous dit de voir un porcon, un louchien, un malchaton ou un rasconse ? Vous aurez du mal : ce sont de pures créations trafiquées en laboratoire, mélange inquiétant d’espèces disparues. Mais ça ne suffisait pas à l’homme de bidouiller la faune sauvage ou domestique : il a fallu qu’il aille bidouiller son propre code source. « Quand donc le corps s’est-il lancé dans ses propres aventures ? […] Après avoir laissé tomber ses vieux compagnons de route, l’âme et l’esprit, lesquels le considéraient avant comme un simple réceptacle corrompu, un pantin charger de mimer leurs drames personnels ou même une mauvaise fréquentation les écartant du droit chemin. » (p. 86) Évidemment, ce n’est jamais une bonne idée de se prendre pour Dieu. Ou alors il faut en assumer les conséquences et accepter d’être à tout jamais séparé de sa création. C’est un peu une condition sine qua non… « Ces murs et ces barreaux ont une raison d’être. […] Ils ne sont pas là pour nous empêcher d’entrer, mais pour les empêcher de sortir. Dans les deux cas, l’homme a besoin de barrières. / Empêcher qui ? / La Nature et Dieu. / Je pensais que tu ne croyais pas en Dieu. / Je ne crois pas en la Nature non plus. » (p. 208)
Le texte alterne entre des passages dans le passé et une narration du présent de Snowman. Enfant gavé de pornographie et privé de repères familiaux stables, Jimmy/Snowman a participé à la fin de l’humanité, mais ce n’est rien comparé à l’implication de son ami Glenn. Hélas, Snowman se souvient mal : il traque les souvenirs de quand il était Jimmy et son esprit est parasité par des citations tirées de livres oubliés. Il est aussi hanté par Oryx qu’il a aimée depuis qu’il l’a vue étant enfant. « Il ne sait pas quel est le pire, un passé qu’il ne peut retrouver ou un présent qui le démolira s’il se penche trop dessus. Et puis il y a le futur. Pur vertige. » (p. 147) À force de recoupements et d’indices, on comprend ce qui a précipité la fin de l’humanité et quelle est la responsabilité de Glenn.
Le titre original du roman est Oryx et Crake, du nom des protagonistes qui sont à l’origine d’une nouvelle forme de vie. Adam et Eve 2.0, en quelque sorte. Dans La servante écarlate de la même autrice, l’humanité avait atteint un sacré niveau de dégueulasserie. Dans Le dernier homme, c’est plus simple, elle a disparu, réduite à un individu unique et moribond. Vestige du monde passé, il dépérit inexorablement. Avec sa mémoire qui disparaît progressivement, Snowman est l’incarnation ultime d’une espèce disparue. Sa solitude, c’est son châtiment.
Je suis un peu restée sur ma faim avec ce roman. Mais pour être en train de lire la suite, Le temps du déluge, je sens que certains fils sont sur le point de se connecter. Comme souvent avec Margaret Atwood, le futur est pourri, sombre, apocalyptique. Si j’ai préféré la vision décomplexée qu’elle en donne dans C’est le cœur qui lâche en dernier, j’ai tout de même apprécié la cosmogonie qu’elle commence à développer avec Le dernier homme.