Pour faire cesser la guerre fratricide entre les Bourbons de France et les Bourbons d’Espagne, les diplomates imaginent un double mariage : le fils du roi d’Espagne épousera la fille du Régent de France et la fille du roi d’Espagne épousera le dauphin Louis. Saint-Simon, ambassadeur de cette union en Espagne, est persuadé que tout sera pour le mieux entre les fiancés et leurs familles. « De précoces fiancés, il faut l’avouer. Si le prince des Asturies a quatorze ans, la fille du Régent n’en a que douze. Quant à Anna Maria Victoria, infante d’Espagne, elle est née le 31 mars 1718. La future épouse de Louis XV et reine de France n’a pas encore quatre ans. » (p. 19) Après d’épuisants voyages, Louise Élizabeth et Marie Anne Victoire se rencontrent au milieu de la Bidassoa : la première part pour l’Espagne et la seconde rejoint la France. « Une princesse française qui va épouser le prince Don Luis, une princesse espagnole qui va épouser le roi Louis, peut-on rêver symétrie plus parfaite ? » (p. 76)
Hélas, il n’y a que la symétrie qui est parfaite. Pour Louise Élizabeth, tout est calvaire : le voyage, la cour espagnole, son gringalet de mari. Souvent souffrante, boulimique, colérique, incontrôlable, la très jeune fille s’intègre bien mal dans sa nouvelle famille et cette dernière a peu de patience pour cette fiancée extravagante. Luis, éperdu d’amour pour sa belle Française, mais soumis à la volonté de ses parents, impose bien mal ses désirs.
Pour Marie Anne Victoire, la mignonne infante-reine, les premiers temps sont délicieux. Si ses parents lui manquent, elle reste brave et se dévoue entièrement à la passion qu’a allumé en elle le jeune Louis XV. Hélas, cette flamme n’est pas partagée et la fable que l’on joue autour d’eux, celle d’un amour tendre et grandissant, est bien impuissante à dissimuler l’indifférence du futur souverain.
Et tout finit mal : Louise Élizabeth devenue veuve est une encombrante reine douairière et Marie Anne Victoire est une enfant inutile et gênante. Après quelques années dans ce qui aurait dû être leur belle-famille respective, les deux enfants sont renvoyées à l’envoyeur. « Débile ou trop précoce, trop grosse ou trop maigre, sans volonté ou trop décidée, déjà usée ou trop jeune, ni l’une ni l’autre désormais ne peuvent plaire. » (p. 310)
Nourri d’extraits de nombreuses correspondances officielles ou personnelles, ce texte dépeint la triste histoire de deux filles sacrifiées sur l’autel de la diplomatie et de la raison d’état. « Ces mariages sont des jeux d’enfants, mais organisés par les adultes. » (p. 35) On parle bien de princesses, mais on est loin du conte de fées : tout est désarroi, chagrin et déception. « L’échange s’effectue en sens inverse. La reine douairière d’Espagne contre l’infante-reine de France, une demi-folle contre une enfant déchue. » (p. 312) Ce récit historique se lit comme un roman, comme un conte cruel où l’innocence et les rêves d’amour sont piétinés. J’ai hâte de voir la récente adaptation cinématographique de ce livre !