Roman de Sorj Chalandon.
Marcel Frémaux est biographe familial. « Je rédigeais la mémoire des autres. » (p. 20) Il écoute et il écrit les petites histoires avant que les souvenirs s’effacent. Lui qui n’a pu ni su entendre le récit de son père, ancien résistant, il se lance éperdument dans la rédaction de l’histoire de Tescelin Beuzaboc, également combattant de l’ombre. « Lupuline Beuzaboc voulait faire un cadeau à son père, lui offrir le récit de sa vie d’homme. » (p. 19) Hélas, à mesure qu’il écoute le vieil homme, Marcel doute : l’histoire est-elle vraie ? Qu’est-il en train d’écrire ? Est-ce le récit d’une délivrance, d’une libération intime ?
Mon admiration pour Sorj Chalandon n’étant plus à démontrer, le plaisir que j’ai pris à cette lecture est redoublé par le fait que l’intrigue se déroule dans ma ville d’adoption. Quel bonheur de reconnaître les lieux que j’aime et de suivre le narrateur dans ses déambulations lilloises ! Quelle joie que cette histoire se déroule en partie dans mon quartier et ses alentours ! Comme si ce roman s’adressait vraiment à moi, peut-être plus intimement qu’à n’importe quel autre lecteur. Oui, c’est une prétention risible, mais ça explique peut-être que j’ai tant aimé ce quatrième roman de l’auteur.
Pour en revenir au texte, je salue le talent de Sorj Chalandon pour mêler et démêler Histoire et histoire, pour sonder la complexité des cœurs et révéler vérité et identité sans jamais accuser ni juger, quelle que soit la faute de ses protagonistes. Cela témoigne d’une bienveillance et d’une tendresse qui, au-delà d’émouvoir, forcent le respect en cette période où indifférence et individualisme ont trop souvent cours.
Je finis avec deux extraits qui prouvent la délicatesse profonde, mais jamais mièvre de l’auteur.
« Neuf personnes et trois drapeaux. Ça a été l’enterrement de mon père. » (p. 11)
« On fait son deuil. C’est effroyable, mais on le fait. […] On fait son deuil, mais on ne revient jamais d’un rendez-vous manqué. J’avais laissé partir mon père. » (p. 16)