Roman de Jamey Bradbury.
« On ne peut pas fuir la sauvagerie qu’on a en soi. » (p. 256) À 17 ans, Tracey n’aime rien tant que courir dans la forêt, vivre de sa chasse et faire du traîneau avec ses chiens. Depuis la mort de sa mère, elle s’isole de plus en plus sur la piste damée, parfaitement immergée et intégrée dans la nature glaciale de l’Alaska. Contre l’avis de son père, elle se prépare à l’Iditarod, une course en solitaire de 1 500 km. Hélas, tout change quand Tracy fait couler le sang d’un homme : en transgressant une des règles imposées par sa mère, l’adolescente fait entrer le danger dans son monde, mais prend aussi conscience des pouvoirs que lui donne le sang. Désormais, un intrus rôde à proximité de la maison et Tracy est déterminée à ce que personne ne sache ce qu’elle fait en forêt. « Si je continuais juste comme ça, à marcher vers le Nord, sans jamais me retourner ? Les choses seraient plus simples si je pouvais vivre seule, sans plus rien à cacher. Sans plus aucun besoin de protéger les autres de la sauvagerie que je sentais à l’intérieur de moi, de l’impérieuse envie de m’abandonner à tout ce que contre quoi Maman m’avait mise en garde. » (p. 136)
Comme l’annonce le bandeau promotionnel, on flirte ici avec Stephen King et les sœurs Brontë : violence hors-norme, sentiments incontrôlables, terreurs infinies, soupçon de fantastique, tout est là et bien agencé. « Je me suis demandé combien de temps il allait hanter notre forêt avant de venir se montrer sur notre perron. » (p. 95) Les ellipses et les non-dits sont aussi éloquents que le texte lui-même : il faut chercher les indices, les débusquer, pour tout comprendre de cette histoire familiale particulière. « J’ai appris à l’école que le sang a une mémoire. Il porte les informations qui font qui vous êtes. C’est comme ça que mon frère et moi on s’est retrouvés avec tant de trucs en commun, on portait en nous les choses dont le sang de nos parents se souvenait. Partager ce qu’il y a dans le sang, y a pas moyen d’être plus proche d’une autre personne. » (p. 10) Sauvage est une excellente expression du courant littéraire nord-américain du nature writing. Comme l’héroïne, on suit la piste en courant avec les chiens, on relève des collets, on écoute le souffle des bêtes. Et on voudrait pouvoir se perdre derrière un mur de blizzard.