Chez les Claessens, il y a le père, ancien pianiste et chef d’orchestre, la mère Yaël, soprano qui ne chante plus, le fils David qui a choisi le violon et s’est enfermé dans un bunker, et la fille Ariane, pianiste de renommée internationale qui se fait la voix d’une famille tout autant unie qu’éclatée par la musique. Paradoxalement, le point de départ se situe au moment des funérailles du père où seule Ariane, la fille, est présente. Elle joue l’Opus 77 de Chostakovitch dont on comprend très vite qu’il rythme les nombreux drames de la famille Claessens. « Jamais peut-être musique n’a davantage symbolisé le combat de la lumière face aux forces obscures. » (p. 164) À mesure que la partition se déroule pendant l’office funèbre, Ariane remonte ses souvenirs. Elle parle de son admiration sans bornes pour son père et de son amour inconditionnel pour son frère. Après la disparition volontaire de ce dernier, elle a tout fait pour attirer son attention, le faire sortir de sa retraite. Dans cette famille d’artistes, on ne sait que jouer à en mourir parce que c’est la seule façon de vivre. « Le vrai virtuose mondial, c’est celui qui a peur à s’en pisser dessus et qui avance seul devant trois mille spectateurs pour jouer du Ravel, Chopin, Rachmaninov, sans ciller. » (p. 23)
Je découvre Alexis Ragougneau avec ce texte et je suis immédiatement sous le charme. Immense violence, intense souffrance, entre silence et démence, chaque mot sonne juste et compose un opéra tragique d’excellente facture. En faisant de l’Opus 77 une œuvre maudite à plus d’un titre, l’auteur donne à la partition une nouvelle profondeur : on l’écoute différemment, peut-être plus intensément. On la ressent au cœur et on voudrait la vivre. Mais pour rien au monde je ne voudrais être à la place du soliste. Le roman d’Alexis Ragougneau est sans aucun doute un de mes chouchous de la rentrée littéraire.
Lu dans le cadre du prix Au coin de la Place Ronde 2019.