« L’important était que nos enfants soient libres et que leurs pères cessent de mourir. » (p. 94) En 2006, alors que la paix a été signée entre les Irlandais et les Britanniques, Tyrone Meehan a révélé avoir trahi l’IRA pendant 20 ans. Il sait que cet aveu sera suivi de représailles et qu’il lui reste peu de temps à vivre. Ses derniers jours sur terre, il décide de les passer dans le village où il a grandi. « Toutes ces années, je venais ici pour me guérir de la guerre. Obligé en rien, pressé par rien, ne redoutant personne. J’étais en retraite. Un ermite, un moine de nos couvents, un reclus. Je suis souvent retourné dans la maison de mon père, mais c’est pour y mourir que j’y suis revenu, il y a quatre jours. » (p. 29) Dans un journal tardif, il raconte son enfance, la violence et la disparition de son père, la découverte de Belfast et l’entrée dans l’IRA, les premières armes et les séjours en prison. Il raconte aussi la colère, la culpabilité et les raisons qui l’ont conduit à devenir le traître à qui tout le monde ferme sa porte. « J’allais tromper mon peuple pour que l’IRA n’ait pas à le faire. En trahissant mon camp, je le protégeais. En trahissant l’IRA, je la préservais. » (p. 119)
Comme Mon traître, ce roman prend aux tripes, là où naissent les sentiments les plus forts. Centré sur Tyrone Meehan, porté par sa voix brisée et étranglée de souffrance, le récit montre de quoi sont faits les héros contrariés et ce qu’il faut de courage pour renoncer à se battre. « Traître. Il me faudrait aussi trouver un autre mot. Ou me dire qu’un traître est aussi une victime de guerre. » (p. 119)
Une fois encore, Sorj Chalandon frappe là où mon cœur littéraire palpite. La plume est forte, ciselée, marquante. Le texte donne envie de lever des Guinness à la mémoire des martyres irlandais, morts de faim dans les prisons de Thatcher ou fauchés par les balles de son armée en pleine rue. « Quelqu’un laissait tremper mes lèvres dans la mousse ocre brun d’une bière. Mon amertume vient de là. Et je goûtais. Je buvais ce mélange de terre et de sang, ce noir épais qui serait mon eau de vie. » (p. 9)