Maître Kurogiku vit depuis quarante ans dans une ruine de Toscane. Ce Japonais exilé par amour fabrique du washi, ce papier traditionnel nippon. « Ce n’est pas pour le vendre qu’il fabrique le washi. C’est pour le plier. » (p. 47) Il cultive l’art de la patience et de la contemplation, comme le veut la philosophie zen. Arrive Casparo qui veut créer une montre qui contiendrait toutes les mesures du temps. « Je passe mon temps à une activité dont personne ne voit l’utilité. C’est sans doute ce que l’on appelle une passion. » (p. 77) Entre le vieux maître et le jeune enthousiaste, il y a la différence majeure entre jouir du temps ou le mesurer, mais aussi la même obsession, celle de trouver le bon moment. « L’homme ne comprend pas le temps. L’homme a inventé sa mesure. Il a enroulé le temps autour d’un cadran, puis il l’a plié. » (p. 101 & 102)
Les chapitres sont très courts, fugaces, mais parfaitement finis, comme de délicats pliages de papier. Le roman célèbre l’esthétique de la lenteur et celle de la fulgurance. Il rappelle aussi qu’il y a toujours une histoire plus grande que les individus. Quant au papier, matière plus résistante que l’on croit, il est à la fois le support magnifié de l’histoire et son sujet principal. Lire entre les lignes, c’est aussi déchiffrer les secrets des pliures des origamis. Avec ce premier roman, Jean-Marc Ceci frappe fort, très fort, et il fait battre un peu plus vite le cœur.