Dans la fosse 3bis de Saint-Amé, le 27 décembre 1974, 42 mineurs sont morts dans un accident de grisou. 43 si l’on compte Joseph, Jojo, le grand-frère du narrateur, mort plusieurs semaines plus tard des suites de ses blessures. « Blessé, c’est un mot triste pour dire qu’il est vivant. »(p. 54) Michel n’a pas oublié la catastrophe ni la mort de son frangin et il n’a pas pardonné à la mine. 40 ans après, veuf et orphelin, il réclame toujours justice, quitte à la rendre lui-même. Il veut comprendre ce qui s’est passé dans la fosse et venger les siens, famille et communauté minière. « Tu ne savais pas que le grisou avait des complices ? » (p. 85) Michel traque celui qu’il estime responsable de l’accident, de la négligence, de la course au rendement au détriment de la sécurité. « Par mesure d’économies, les Houillères avaient pris le risque de l’accident. » (p. 103) En déterrant la vérité, Michel veut rendre justice aux gueules noires sacrifiées et oubliées. Il veut aussi se débarrasser du passé, mais finalement, il faudra surtout qu’il corrige sa propre histoire. « La mort de Jojo ne pesait plus sur moi. Ma vengeance était éteinte. Tout allait pouvoir être dit. » (p. 195)
La plume de Chalandon fait mouche à chaque roman. Pas un qui ne m’émeuve au-delà des larmes. Il faut dire que l’auteur a des phrases parfaites qui disent tout en peu de mots. « Il portait son costume du dimanche et son front du lundi. » (p. 8) Dans ce roman qui parle de la sombre histoire minière du Nord, l’auteur revient dans ma région d’adoption et de cœur, après La légende de nos pères. Il a su saisir une époque et une atmosphère. Après les avoir polies patiemment, il les a déposées dans l’écrin protecteur des Belles Lettres. Sorj Chalandon parle d’un deuil collant comme la poussière de charbon. Il dépeint à merveille l’amour fraternel, celui rend frère, celui qui fait fratrie au-delà des liens du sang. « À l’heure de dire au revoir à son charbon, la France a oublié de dire adieu à ses mineurs. » (p. 108)
Il y aurait bien des épithètes pour être dithyrambique. Un seul suffit : ce roman est beau. Lisez-le. Et lisez Sorj Chalandon.