Regards paranoïaques – La photographie fait des histoires

Texte de Martine Ravache.

« Les sept récits qui suivent sont une lente montée vers la lumière comme le bain du révélateur infuse dans la pénombre avant de laisser apparaître l’image en douceur. C’est bien la capacité de révélation, propre à la photographie, qui est le sujet de ce livre. » (p. 26 & 27)

Pour ceux qui n’ont pas encore compris, je découvre depuis peu les dessous du huitième art. Regarder un cliché, je sais faire. Le comprendre, c’est autre chose… Et pour cela, le livre de Martine Ravache est parfait ! L’autrice explore clairement des sujets complexes. Elle présente sa rencontre et son amitié avec Gisèle Freund et raconte la dispute autour de l’héritage de la portraitiste. Elle compare un portrait de Virginia Woolf et un portrait de la mère de l’autrice britannique, distants de 80 ans. Elle réfléchit à la bataille entre le noir et le blanc et la couleur, et à l’usage que les photographes ont fait de ces deux façons de représenter le monde. « S’intéresser à la couleur, c’est donc voyager dans un pays aux contours incertains dont on ne peut jamais vraiment faire le tour. » (p. 93)

Réussir une photo, ça demande d’avoir le coup d’œil, ou plutôt le clin d’œil, puisque le photographe s’éborgne pour mieux voir. « La meilleure façon de voir serait donc de fermer un œil pour ne garder que le bon. » (p. 109) Et on s’interroge alors sur le fameux baiser de Robert Doisneau : est-ce un moment volé ou une banale construction ? « Quel intérêt Doisneau aurait-il eu à mentir ? À vouloir se faire passer pour un metteur en scène, un truqueur plutôt que pour un génie de l’instantané ? » (p. 161) Et face aux portraits miroirs et empathiques que Markus Hansen fait de lui en réponse à des visages d’autres personnes, on réfléchit nécessairement à l’art de l’autoportrait à l’heure de la pellicule. « Dans ma pratique professionnelle, j’ai constaté que le processus de perception et sa transformation concernent aussi le regardeur. Regarder est moins une activité objective qu’une construction de l’esprit. » (p. 24)

Des grands noms émaillent le livre : Jacques Henri Lartigue, Seydou Keïta, Henri Cartier-Bresson, Laurence et Dominique Sudre, etc. Tous marquent l’histoire de la photographie, interrogent son rapport au réel et sa dimension artistique. « La bonne photographie tire sa force de séduction du chemin tortueux qu’elle parcourt dans notre inconscient. Elle est une aventure inoubliable. Il lui arrive toutefois de rejoindre le bataillon des images endormies qui peuplent nos imaginaires avant de réapparaître comme un fantôme, miraculeusement surgi de je ne sais quelle nuit. » (p. 101 & 102) Le livre de Martine Ravache donne à réfléchir, profondément et avec beaucoup d’intérêt !

Ouvrage lu dans le cadre du Prix Écrire la photographie, organisé par Place Ronde.

Ce contenu a été publié dans Mon Alexandrie, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.