Ami proche du couple, l’auteur a compulsé de nombreux ouvrages pour produire une biographie double. Il commence par celle du petit juif allemand dont la jeunesse berlinoise est marquée par la montée du nazisme et de l’antisémitisme. « Comblé par ses expériences photographiques, Helmut n’en demeure pas moins attentif à la situation politique ainsi qu’aux tourments vécus par sa famille. La haine à l’égard des juifs, les injures proférées à leur endroit l’inquiètent davantage qu’elles ne le bouleversent. Le fossé qui s’est creusé entre les deux communautés est incommensurable. Ces hommes et ces femmes humiliés, révoltés ou résignés, s’ils en réchappent, ne cesseront jamais de crier leur indignation. Le mal est fait, ainsi que l’inventaire des horreurs qui traversent le monde. On ne meurt pas par hasard. » (p. 41&42) Le jeune Helmut quitte l’Allemagne pour Singapour, puis pour l’Australie où il intègre l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale. Survient la rencontre avec June Brunell, actrice australienne. Ils se marient en 1948 et, pour son époux, June renonce au théâtre et suit Helmut en France et à Los Angeles. Couple soudé par l’art, Helmut et June marquent l’histoire de Vogue dans différents pays. June devient photographe sous le pseudonyme d’Alice Springs. Les époux Newton restent liés jusqu’à la mort d’Helmut.
Je connaissais peu le travail d’Helmut Newton. L’ouvrage de José Alvarez a comblé cette lacune et me voilà les yeux béatement saturés de nus féminins très érotiques, grâce aux nombreuses reproductions disséminées au fil des pages. « Helmut rencontre le succès sans rien renier de ses ambitions. Son travail est d’un érotisme qui flirte avec la perversité, de quoi choquer les âmes bien-pensantes et faire trembler les rédactrices de mode prises à leur propre jeu, entre crainte et séduction. Ses clichés sont fréquemment refusés mais qu’à cela ne tienne, il récidive de plus belle tout en étant conscient que ses photos sont osées, très osées même au regard de ce qui est publié voire couramment admis par les annonceurs et les lecteurs. Mais les faits sont têtus. Helmut n’a-t-il pas toujours prôné la liberté absolue dans son travail, ne jamais transiger, ne jamais se soumettre à une vision consensuelle ? Un créateur ne doit pas se laisser dicter sa conduite. Avec le soutien de June, il est prêt à affronter la vie comme on prend possession d’un empire sur lequel on ambitionne de régner. L’important, c’est de trouver son style, inventer un monde singulier, le sien, sans concessions et sans se soucier du jugement d’autrui, en l’occurrence une bourgeoisie encore repliée sur ses vieilles valeurs, alors que la plupart des lectrices et des amateurs se reconnaissent déjà dans son travail, une majorité stimulée par la vision d’une femme affranchie, maîtresse d’elle-même. Un créateur moquant dans ses photographies en noir et blanc les fantasmes masculins. » (p. 180) Il faut cependant que je déplore le peu de place laissé à June dans cet ouvrage. Elle est la femme, l’épouse, la compagne, presque le faire-valoir, celle qui sacrifie son art pour permettre à son époux de développer le sien. Et de fait, le livre parle principalement d’Helmut. C’est certes passionnant, mais le titre annonçait davantage.
Ouvrage lu dans le cadre du Prix « Écrire la photographie » organisé par la librairie lilloise Place Ronde.