Roman de Pete Fromm.
Après des années d’éloignement et de non-dits, Trig et Al acceptent une aventure avec leur père : un mois de canoë dans les lacs du Canada, alors qu’octobre est sur le point de s’achever. À presque 30 ans, les jumeaux sont toujours très complices et résolument unis contre les lubies de leur père. « Je suis prêt à suivre Al où qu’elle aille, même si je sais que Papa mène cette danse. » (p. 60) Mais le voyage est mal préparé et, dès les premiers jours, Bill semble désorienté. La météo reste clémente, mais les premières tempêtes s’approchent. « A-t-il seulement la moindre idée d’où nous allons, hormis plus loin ? » (p. 70) Et puis, alors que cette errance sur les miroirs d’eau a déjà trop duré et que la neige commence à tomber, tout bascule. Le retour au point d’embarquement sera une rédemption, une renaissance, si tant est qu’on revienne vivant de l’enfer.
La perte des bagages au début du voyage était évidemment le présage tragique à ne pas ignorer. Avec cette équipée sauvage aux allures de testament, une famille amputée tient sa dernière chance de solder les comptes et d’apaiser les rancœurs. Le lac de nulle part est un roman suffocant, mais impossible à poser. J’ai lu les quelque 400 pages en une journée, incapable de lâcher la trace de Trig et Al, d’autant plus que personne ne sait où sont les jumeaux et leur père. Sur le chemin du retour, alors que chaque lac ressemble au précédent et que rien ne différencie un portage d’un autre, les jumeaux reviennent sur l’abandon de leur père quand ils étaient enfants. « Certaines personnes ne valaient pas la peine qu’on les quitte. » (p. 278) Les corps sont pris dans les mâchoires d’un hiver précoce et les anciennes blessures sont ravivées par le froid et la glace. En laissant derrière eux le lac de nulle part, Trig et Al réalisent une longue et douloureuse marche cathartique. « Il n’y a que des secrets entre nous. » (p. 65)
La survie en territoire hostile, Pete Fromm connaît ! Il a partagé sa propre expérience dans Indian Creek, récit de survie haletant. Face à Bill, Trig et Al, impossible de ne pas penser aux familles dysfonctionnelles tant racontées par David Vann dans ses différents romans, mais aussi à Winter de Rick Bass où l’auteur est confronté aux rigueurs d’un hiver qu’il a mal préparé. Le lac de nulle part va me hanter longtemps.