Paroles d’honneur

Roman graphique de Leïla Slimani (textes) et Laetitia Coryn (illustrations).

Alors qu’elle présentait son dernier roman au Maroc, Leïla Slimani a rencontré de nombreuses femmes qui se sont confiées sur leur vie intime. Cela a donné l’essai Sexe et mensonge, ici adapté en bande dessinée. Sur la base de ces rencontres, de ces échanges et de ces témoignages, l’autrice fait émerger une parole vraie et brute. « J’ai découvert à quel point la législation sur la sexualité et, de manière générale, la pression sociale exercée sur le corps pouvaient rendre difficile l’émancipation des femmes dans mon pays. » (p. 5) La dessinatrice a donné des visages à des femmes anonymes et l’autrice a fait entendre leur voix. Dans un pays où la hchouma (la honte) pèse sur toute chose, ce sont des générations qui s’accommodent comme elles le peuvent des interdits et du désir de transgression. « Tout le monde baise. L’important, c’est de le faire discrètement. » (p. 24)

Outre l’homophobie explicite et l’obsession hypocrite pour la virginité féminine avant le mariage, Leïla Slimani pointe la façon dont le message premier du Coran a été dévoyé, à force de traductions et d’interprétations patriarcales. Exit la sensualité du texte, bonjour la condamnation violente et dogmatique de l’avortement, de l’adultère et de la prostitution. « Être bien élevé, être un bon citoyen, c’est aussi avoir honte. » (p. 13) La culture de viol est omniprésente : l’agresseur n’est jamais en tort tandis que la victime porte tout le blâme. Le désir et le plaisir sont diabolisés, autant pour l’homme que pour la femme. « Je suis fatiguée d’entendre comparer la femme à un bijou, à un joyau ou à un bonbon qu’il faudrait enrober pour la préserver des regards concupiscents. On peut l’enfermer, l’emprisonner, c’est toujours pour son bien, toujours pour la protéger. » (p. 48)

Heureusement, Leïla Slimani note aussi que le Maroc change. Les jeunes générations se cachent moins, prennent ouvertement la parole et revendiquent des droits et des espaces nouveaux. « Si les femmes n’ont pas pris la pleine mesure de l’état d’infériorité dans lequel elles sont maintenues, malheureusement elles ne feront que le perpétuer, encore et encore. Alors il faut en parler. Le plus possible. » (p. 57) L’évidence est martelée : l’honneur n’est pas dans la honte, mais dans le respect de soi et des autres. Avec cette bande dessinée reportage, l’autrice appelle à l’ouverture des esprits et à l’assouplissement de la morale. L’objectif est clair : la libération de la femme et, avec elle, celle de l’homme qui est contraint par un modèle patriarcal. « Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses actes qu’en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. » (p. 101)

Cette lecture rejoint évidemment mon étagère de lectures féministes ! De l’autrice, je vous recommande le roman Chanson douce.

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