Hilde, la Mère, est enceinte de son troisième enfant. Les jeunes Egil et Margit surveillent cette arrivée avec circonspection, car leur mère change. Souvent, son regard se fige et elle semble absente au monde. Magnus, le Père, est impuissant à retenir son épouse et à la sauver de ce désespoir qui la saisit. « Nous ferons ce qu’elle désire. Elle croit qu’elle est condamnée. » (p. 9) En dernier recours, pour tenter de distraire Hilde, Magnus embarque les siens dans un voyage dont aucun ne reviendra indemne. Jusqu’à la ruine et l’épuisement, les membres de cette famille cheminent, solitaires, incapables de se retrouver. « Venez, rentrons. Tout ce que nous offrons ne sert à rien. » (p. 94) Seule Hilde s’épanouit à mesure que les mois passent : toutes les portes lui sont ouvertes et personne ne résiste à son charme quasi surnaturel. « Elle était un arbre, alourdi par son propre fruit, et aspirant ce que fournissaient le ciel et la terre. » (p. 85) La naissance, enfin, intervient comme une double délivrance.
Ce court roman de l’auteur norvégien est autant sombre que lumineux. Hilde est plus qu’un personnage, c’est une entité. Elle survole l’histoire, détachée des siens et du monde. Quant aux enfants, ils ont une conscience fine, voire incisive, des événements et des choses non dites : tout résonne cruellement dans leurs jeunes âmes et, déjà, ils n’ont plus le droit à l’innocence. Tarjei Vesaas excelle dans les descriptions de la nature : ici, nous passons de l’hiver à l’automne dans un mouvement majestueux, un glissement imperceptible où les changements sont des évidences. L’auteur fait de Hilde un élément presque totémique, une manifestation prophétique de la course du monde. Les quelque cent pages sont lourdes de symbolisme et de poésie, et c’est un enchantement de les parcourir.