Roman graphique d’Emmanuel Lepage.
De 5 à 9 ans, l’auteur a vécu dans une communauté en Bretagne, le Gille Pesset. Plusieurs familles, catholiques et de gauche, voulaient tenter une autre façon de vivre ensemble, moins individualiste et plus propre au monde moderne et à la foi partagée. « Nous voulions révolutionner l’Église de l’intérieur ! » (p. 85) De ces quelques années, il reste à Emmanuel Lepage des souvenirs colorés, des éclats vifs comme le soleil, mais il lui manque l’origine du projet et, surtout, les raisons pour lesquelles ses parents ont brusquement quitté le Gille Pesset. Pendant plusieurs années, l’auteur interroge les fondateurs de cet habitat partagé. Il découvre des secrets de famille, des idéaux, le poids encore lourd de la foi dans les années 60 et 70 et cette aventure humaine un peu utopique. « Comment habiter, comment vivre ensemble… comment agir sur le monde que l’on veut changer ? » (p. 113) De dialogues en souvenirs, les témoignages qu’Emmanuel Lepage recueille dessinent la chronique d’un temps révolu et d’une réflexion menée sur l’institution ecclésiale et la société en général. Le projet du Gille Pesset prend naissance au moment de Vatican II et de mai 68. Tout bouillonne et tout craque : les modèles passés sont trop étroits pour ces jeunes couples et ces familles qui ont l’espoir d’autre chose. « Nous sommes des gens de gauche en opposition avec les valeurs dominantes de la société, contre l’autonomie et la privatisation de la famille. […] Nous cherchons l’épanouissement de la personne dans une entité plus large que la famille. » (p. 182 & 183)
Et cette histoire, c’est aussi celle de l’auteur. « C’est au Gille Pesset que tout a commencé. Là où sont les clés de tous mes livres. » (p. 147) Quand il dessine les témoignages, l’auteur utilise le gris et le sépia, mais quand il met en image ses propres souvenirs, la couleur éclate, vibrante comme le sont les heureux moments de l’enfance. « Pour nos parents, le Gille Pesset est une idée, une utopie… Mais pour moi et pour chaque enfant du groupe, il est le Monde. On est de son enfance. » (p. 160) C’est en faisant le chemin à rebours de sa mémoire et de celle des familles du Gille Pesset qu’Emmanuel Lepage comprend comment les idéaux et les espoirs cette petite communauté ont fait long feu.
J’ai plongé dans ce récit autobiographique avec beaucoup d’émotion, mais aussi de curiosité. J’ai découvert tout un pan du catholicisme breton, dans une époque que mes parents ont connue, qui pour moi n’est qu’histoire, mais histoire trop proche pour être vraiment objectivée. « Papa, cet homme que je vais raconter, ce n’est plus toi, et puis ce sera mon interprétation. » (p. 3) Au-delà du propos, je retiens surtout le dessin d’Emmanuel Lepage. Les pages représentant des racines et des arbres ont une symbolique évidente, mais d’une beauté immense. Cache-cache bâton est une œuvre profondément émouvante et qui ne laisse pas d’interroger sur notre monde actuel.