Bande dessinée de Rochette.
Édouard Roux est le seul rescapé de sa tranchée après la bataille de la Somme. Il dissimule sa gueule cassée sous un sac percé de trous et évolue en marge des vivants. Son humanité lui est rendue par Jeanne Sauvage, artiste qui crée des visages pour ceux qui ont perdu le leur. Édouard et Jeanne s’aiment dans le Paris des années folles, mais c’est au-dessus de Grenoble, dans la solitude paisible des monts du Vercors qu’ils trouvent le bonheur. « Il faut fuir les hommes. Les forêts sont devenues trop petites pour cacher les ours et ceux qui s’aiment. […] Les forêts sont devenues trop petites pour la liberté. » (p. 89) Hélas, vivre caché est impossible : l’injustice et la bêtise humaines finissent toujours par tout gâcher. « Tant que dans la montagne régneront les ours, le soleil se lèvera le matin. Mais, au soir où mourra la dernière reine, alors ce sera le début du temps des ténèbres. » (p. 36)
L’histoire d’Édouard est entrecoupée de chapitres qui retracent l’histoire de l’ours dans le Vercors à travers le temps, face à des prédateurs de plus en plus cruels qui ne chassent plus pour se nourrir. Progressivement, on comprend le lien millénaire entre les Roux et les ours. « On respire le même air, on foule la même terre, on boit à la même source, on est de la même famille. » (p. 78)
Il y a des pages avec très peu de mots : les dessins sont si dynamiques qu’ils se passent du verbe humain pour exprimer la vie et le mouvement. Rochette propose un bestiaire montagnard superbe, frémissant sur la page. Et quelle joie de croiser François Pompon dont j’aime tant L’ours blanc et les petites sculptures animales exposées au musée de La Piscine à Roubaix. Je découvre l’auteur avec cette bande dessinée et j’ai hâte de lire ses autres œuvres.