Récits de John Angus McPhee.
L’auteur dresse le portrait de David Brower, à l’occasion de trois journées passées avec lui, à des époques différentes et dans des lieux emblématiques de l’Amérique sauvage. « Il avait passé sa vie à défendre les montagnes et, par extension, ce qu’elles symbolisaient à ses yeux. » (p. 15) Dans la réserve de la Glacier Peak Wilderness, sur l’île de Cumberland et aux alentours du lac Powell, sur le fleuve Colorado, David Brower n’a qu’un mot d’ordre : protéger la nature, garder intacts les paysages et les écosystèmes, les défendre de l’avidité humaine. Qu’il s’agisse d’exploiter le cuivre dans les montagnes, d’aménager le littoral pour des activités de loisirs ou de construire un barrage électrique, Brower fait toujours passer l’intérêt de la nature avant celui du capitalisme. « J’essaie de sauver des forêts, des coins de nature. Je fais mon possible pour remettre l’homme en équilibre dans son environnement. Il est en total, total déséquilibre. La Terre ne tiendra pas le coup, et nous non plus. » (p. 25) Cette volonté de préserver les derniers arpents de beauté sauvage, David Brower la défend depuis les années 1920.
Dans chaque lieu, Brower échange avec un homme différent : le débat est animé de motivations contradictoires. Comment répondre aux défis économiques, sociaux et politiques de développement sans compromettre l’équilibre de la nature ? « J’ai vu ce que vous étiez capable d’accomplir. À présent, poussez les autres à en faire autant. Il faut utiliser le système pour réformer le système. » (p. 134) Est-il raisonnable de conserver des espaces vierges de toute présence humaine alors que les besoins ne cessent de croître ? « Lorsqu’une prolifération incontrôlée se développe chez un individu, on appelle ça un cancer. » (p. 82) Faut-il enclore la nature sauvage et en interdire l’accès ou permettre aux humains d’en jouir, avec les risques que cela suppose ? « On ne peut pas tout conserver à l’état sauvage. Il faut imaginer un compromis : les hommes au milieu de la nature. » (p. 98)
Aucune réponse définitive n’est donnée dans ce livre, mais les constats alarmistes qui figurent dans le livre de John McPhee, paru dans les années 1970, restent tristement d’actualité en 2024, voire se sont considérablement renforcés. La course au développement et l’obsession du profit n’ont pas cessé, en dépit des alertes formulées par David Brower et tant d’autres. « La théorie de la croissance écologique est vouée à l’échec sur une planète aux ressources limitées. » (p. 45) Je partage cette dernière affirmation : il faut en finir avec la folie de la consommation et du prêt-à-jeter et réinventer notre rapport au vivant. Cela ne se fera pas sans d’immenses réformes et des batailles ardues contre les lobbys capitalistes et les gouvernements qui se désintéressent du sujet. Il me semble que c’est du peuple que doit venir ce grand changement puisque les dirigeants se refusent à prendre les décisions qui s’imposent.