À Los Angeles, le quartier ultra défavorisé de Skid Row s’oppose au luxe clinquant de Beverly Hills. Et la fracture entre ces deux univers est d’autant plus marquée que se prépare la cérémonie des Oscars, avec ce qu’elle suppose de paillettes et de démesure. Derrière son blog, Lila dénonce ce monde où être pauvre revient à être coupable : coupable de sa propre misère, coupable du poids que cela fait porter sur la société, coupable de l’image que cela renvoie de la société. Bref, coupable. Et Lila veut que les mentalités prennent conscience. C’est essentiel pour briser le paradigme erroné sur lequel repose le monde moderne capitaliste. « Les pauvres doivent être vus. En rendant les chiffres visibles, on rend aussi visibles l’aperçu de ce qu’est le monde et les choix que les hommes ont faits. Elle est persuadée que le problème du monde est une question de choix et non pas de fatalité et elle sait ce qu’elle veut faire. Il suffit d’une personne pour changer le monde. » (p. 48 & 49) Lila n’est pas une idéaliste : c’est une hacktiviste, une révolutionnaire informatique. À coup de hashtags, elle organise une grande marche silencieuse.
Ce roman arrive dans une période socialement lourde en France. Le fait que l’intrigue se déroule aux États-Unis n’a pas d’importance : elle est vraisemblable et légitime partout où l’injustice sociale règne. Il n’est plus temps que les gens aient peur de devenir ou d’être pauvres, angoisse qui a pour corollaire insupportable la toute-puissance de l’argent. Les richesses doivent être partagées entre tous et ne plus rester à la main des multinationales qui privatisent les ressources naturelles et amputent d’autant les droits fondamentaux de l’être humain. « Être riche est devenu une vertu. Pas question de partager ses biens. Ce n’est plus considéré comme un mal mais comme un droit. » (p. 134) Finalement, le Big One que Los Angeles redoute tant, ce terrible séisme qui doit détruire la ville construite sur une faille, c’est une marée humaine qui va le créer. Cependant, une question demeure : qu’advient-il après la révolution ? « Se battre pour un monde qui n’est plus, c’est se battre contre un monde qui est. » (p. 62)
J’avais déjà beaucoup apprécié Instinct primaire et Un écrivain, un vrai de Pia Petersen. Cette autrice a un vrai talent pour tailler des portraits précis et pertinents. Mon seul regret avec Paradigma est le triangle amoureux : je n’ai pas trouvé qu’il nourrissait le propos de façon pertinente. Mais c’est un détail. Avec son nouveau roman, Pia Petersen pose quelques questions brûlantes d’actualité sur la valeur du monde. « C’est impératif de retrouver le sens des mots et le sens des choses et de créer le modèle qui corresponde à la réalité que l’on veut. » (p. 307)