Les animaux sont devenus mortellement toxiques pour l’homme et sont exterminés systématiquement. Pour continuer à consommer des protéines animales, les humains ont mis en place une filière de production de viande humaine. De cela découle une industrie aussi bien rodée que l’ancienne industrie de viande animale. Les têtes sont soigneusement sélectionnées, les inséminations sont contrôlées, les pièces sont suivies. Et comme dans le cochon, tout est bon : la peau, la graisse, les cheveux, tout est transformé. Tout cela est encadré d’une communication parfaitement rodée. « Il y a des mots convenables, hygiéniques. Légaux. »(p. 16) Dans ce système bien organisé, Marcos travaille dans un abattoir. Son regard croise un jour celui d’une femelle. « Elle est belle […] mais sa beauté est inutile. Ce n’est pas parce qu’elle est belle qu’elle en sera plus savoureuse. » (p. 132) Marcos commet alors l’interdit : il considère cette pièce humaine bonne à être mangée comme un être vivant, un être humain, un être à aimer. Il la cache dans son garage, mais il sait dès le début qu’il ne pourra pas la garder.
Le roman nous montre une société accrochée à la consommation de viande et qui refuse de changer de modèle alimentaire, comme si le régime carniste était un dogme. « Il faut respecter la nourriture. […] Toute assiette contient de la mort. Prenez-le comme un sacrifice que d’autres ont fait pour vous. » (p. 212) Devenu cannibale, l’homme est vraiment un loup pour l’homme. Cette dystopie alimentaire et/ou gastronomique fait froid dans le dos, mais reste parfaitement crédible. Tout comme sont terriblement crédibles les théories du complot qui fleurissent partout. « Tu ne te rends pas compte qu’ils nous manipulent ? Qu’ils nous font nous bouffer entre nous pour contrôler la surpopulation, la pauvreté, la criminalité. » (p. 219) Avec ce premier roman, Agustina Bazterrica signe un témoignage à charge contre l’industrie agroalimentaire et lance un appel au respect de la vie animale. Et évidemment, le film étant cité dans le roman, impossible de ne pas penser à Soleil vert.