« Coûte que coûte, il faut maintenir la paix : l’arrêt de mort des chefs protestants est signé. » (p. 6) La messe à laquelle a consenti Henri de Navarre n’a pas suffi pour sauver Paris ni la France. Aujourd’hui, personne n’ignore ce qu’est la Saint-Barthélemy : le massacre organisé d’une religion par une autre religion. Mais pour comprendre cet événement qui se déroule bien au-delà du 24 août 1572, il faut zoomer vers l’intime : ce n’est pas le protestantisme qu’on a saigné, ce sont des femmes et des hommes dont le nom est, pour beaucoup, perdu. « Plutôt qu’une autre histoire de la Saint-Barthélemy, j’ai voulu faire une histoire des autres Saint-Barthélemy. Une histoire du petit, du commun et du banal, un événement qui assurément ne l’est guère. » (p. 7) Jérémie Foa a plongé dans des minutes notariées, entre inventaires des biens des personnes décédées et autres actes de mariage. Ces documents froids et officiels prouvent les spoliations, les trahisons, les vengeances et toutes les mesquineries imaginables entre proches. « La Saint-Barthélemy est un massacre de la proximité, perpétré en métriques pédestres par des voisins sur leurs voisins. » (p. 8) Les archives sont lacunaires, voire erronées : dans ce jeu de piste, l’auteur comprend qui a donné qui : le beau-frère qui se débarrasse d’une belle-sœur encombrante, l’époux qui fait tuer son épouse, l’artisan qui excelle en tueur de masse, etc. Il y a bien sûr quelques preuves de charité et de protection, des mensonges montés de toutes pièces pour sauver un mari ou un enfant, mais les corps jetés dans les fleuves ou dans les fosses sont indénombrables. En identifiant des anonymes, Jérémie Foa rend justice à leur mémoire effacée et couverte par l’étendard sanglant de la Saint-Barthélemy.
Chaque chapitre s’attache à un nom, une famille, un quartier. L’auteur fait revivre une époque et prouve indubitablement que la folie meurtrière de l’été 1572, bien que lancée par le pouvoir royal, a été le parfait prétexte pour régler des querelles de famille et de voisinage, la foi protestante des victimes n’étant qu’un argument facile pour les tueurs. Jérémie Foa détaille par endroit son processus de recherche, ses découvertes heureuses et les impasses frustrantes dans lesquelles il a perdu la trace de celles et ceux dont il cherchait la trace. La lecture n’est pas légère, sujet oblige, mais elle est passionnante.