Roman d’Émile Zola.
Florent a été accusé à tort de meurtre lors des affrontements qui ont marqué la fin de la république en 1848. Évadé du bagne de Cayenne, il retrouve Paris après des années d’absence. Il est accueilli à bras ouverts par son frère Quenu, heureux propriétaire d’une charcuterie prospère et époux de la belle Lisa Macquart, une maîtresse femme débordante de santé grasse. Florent ne leur ressemble pas, lui qui a eu faim toute sa jeunesse pour élever son frère, puis faim lors de son enfermement. « Il était devenu sec, l’estomac rétréci, la peau collée aux os. Et il retrouvait Paris, gras, superbe, débordant de nourriture au fond des ténèbres. » (p. 25) Florent est enragé de république, mais il est contraint de travailler pour l’Empire en devenant inspecteur des marées pour la préfecture. C’est ainsi qu’il se retrouve pris dans la rivalité qui oppose la belle Lisa et la belle Normande, poissonnière aux Halles. Ses idéaux politiques le mèneront à sa perte, alors que Lisa ne veut que prospérer tranquillement, prise dans une attitude bornée et pragmatique qui ne veut rien céder ou perdre.
Contraint d’arpenter les allées saturées de vivres à longueur de journée, le frugal Florent regrette les années où il enseignait et s’étouffe d’écœurement devant l’abondance obscène des Halles. « Florent souffrit alors de cet entassement de nourriture au milieu duquel il vivait. » (p. 164) Le milieu où évoluent les marchands et les épiciers est étouffant. « Les Halles géantes, les nourritures débordantes et fortes, […] lui semblaient la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l’Empire. » (p. 168) Dans les nouvelles Halles construites par Baltard s’incarne le mépris pervers et éclatant des pauvres et des opprimés. Tout le roman se construit sur l’opposition entre les gras et les maigres, les premiers attribuant aux seconds les plus vilains caractères et les vices les plus marqués. Pour la charcuterie Quenu-Gradelle, l’apologie de l’épaisseur et du gras est presque une religion, en tout cas une façon de vivre immuable et nécessaire.
Les Halles sont une nouvelle cathédrale dédiée à des libations orgiaques, à un culte païen et dévoyé reposant sur l’abondance de nourriture. Ce bâtiment monstrueux est un ogre de métal et de verre qui engloutit des tonnes de vivres alors que le peuple parisien crève de faim à quelques rues de là. Lisa Macquart observe une stricte dévotion à la chère et au labeur paisible et s’insurge contre la paresse et l’oisiveté. Pour elle et ses pairs, les agapes quotidiennes ne sont pas un abus, mais un devoir. « Elle parut l’âme, la clarté vivante, l’idole saine et solide de la charcuterie. » (p. 77) Mais les Halles sont surtout l’incarnation du progrès. Elles offrent un environnement industriel propre à l’aquarelle et aux descriptions picturales. De la structure métallique aux étals de nourriture, la plume de Zola s’empare du sujet et le sublime dans des déclinaisons de couleurs et de lumières. Ce n’est pas pour rien que l’on croise souvent Claude Lantier dans ce volume des Rougon-Macquart, lui qui sera le peintre au cœur de L’œuvre.
Merveilleux, puissant, implacable Émile Zola ! Déambuler avec son personnage dans les Halles et les rues voisines est une parfaite façon de s’ouvrir l’appétit, puis de sentir la nausée envahir la page. Mais n’hésitez pas, plongez dans la puanteur des Halles et côtoyez l’esprit mesquin des commerçants âpres au gain !