Roman en deux tomes d’Anne-Marie Garat.
Dans la main du diable
1913. Gabrielle Demachy attend depuis des années le retour de son fiancé, Endre Kertész, parti en Birmanie. Avec Agota, sa tante hongroise exilée à Paris, la mère d’Endre, elle va d’administration en ministère pour découvrir ce qui est arrivé au jeune homme. Une convocation au ministère de la guerre apprend aux deux femmes qu’Endre est mort, et qu’il ne reste de lui qu’une malle contenant quelques effets personnels. Pour Gabrielle, ce n’est pas assez. Elle décide de découvrir les circonstances de la mort de son premier amour. Aidée par un employé du ministère de la guerre, le très affable Michel Terrier, elle entre au service de la famille Bertin-Galay, pour mieux approcher Pierre qui a connu Endre et l’a accompagné en Birmanie. Sous couverture d’être l’institutrice de Millie, la fille de Pierre, Gabrielle s’immisce dans la vie de cette grande famille bourgeoise. Elle apprend à connaître Madame Mathilde, qui règne en reine mère sur son monde. Elle se lie d’amitié avec Sophie, la cadette de la famille. Et peu à peu, elle se rapproche de Pierre. Entre cours de piano et leçons de choses, elle apprivoise la sauvage petite Millie et se fait respecter de la maisonnée. Ce qui impressionne le plus Pierre, c’est la parfaite maîtrise du hongrois de Gabrielle. Elle le sait, Pierre peut lui donner des réponses sur la mort d’Endre. Mais les réponses sont dangereuses, explosives, et pas seulement pour Gabrielle. Il en va de la sécurité des peuples, dans une Europe que les soulèvements ouvriers portent à la révolte et à la grève. De Paris au Mesnil, de la Birmanie à l’Italie, personne n’est vraiment ce qu’il semble être, personne ne tient vraiment sa place. Pierre n’est pas le monstre que Michel Terrier avait décrit. Michel Terrier n’est pas l’aimable ami des débuts. Gabrielle elle-même se perd dans sa dissimulation, prête à tout pour régler les comptes du passé et se libérer de son emprise.
Ce premier tome est un délice. L’auteure maîtrise l’art de la description et sait rendre sensible les paysages et les sentiments. La narration est habile, mêlant les faits et les idées, incluant avec légèreté des analepses et des prolepses. Les personnages sont bien bâtis, assez énigmatiques au début pour donner envie d’en savoir davantage. J’ai eu des difficultés à lire les premiers chapitres. Mais très vite, j’ai été prise par l’histoire et par l’Histoire. Ce livre est une leçon de politique et d’histoire bien moins barbante que mes cours de prépa… Ce roman-fleuve, roman-feuilleton aussi, demande une certaine endurance: il y a beaucoup de personnages et de fils qui se nouent. Et pour moi qui suis gourmande de grandes fresques familiales et sentimentales, je suis servie !
L’enfant des ténèbres
1933-1934. Camille a bien grandi depuis son enfance au Mesnil. Entre son Pierre et Gabrielle, ses parents d’adoption, elle a connu une enfance et une adolescence trépidantes à New-York. Jeune femme indépendante qui cherche de nouvelles expériences, elle part sur les routes avec son ami Jos pour vivre une aventure qui la marque humainement. A la mort de son ami, elle met tout en oeuvre pour tenir la promesse qu’elle lui a faite. De retour sur le vieux continent, elle décide de se frotter à la vie d’ouvrière et se fait embaucher anonymement dans les usines de biscuit de sa grand-mère. Son audace et sa fraîcheur séduisent Simon Lewenthal, le directeur des usines Bertin et Galay. Entre eux se nouent une relation tendre mais difficile. Camille tient plus que tout à accomplir sa promesse. Avec son amie hongroise Magda, rencontrée à Venise des années auparavant, elle sillonne les routes d’Europe, de Budapest à Vienne jusqu’à Berlin où se nouent les fils d’une opération très spéciale. Gabrielle assiste à l’émancipation de sa fille, et le cœur serré, la laisse se forger ses propres expériences. Et l’on retrouve Sassette, l’ancienne petite bonne du Mesnil, que la découverte des livres a métamorphosé en petite femme active qui oeuvre sans le savoir au sein d’une organisation plus ou moins reconnue. La menace fasciste gronde et chacun peut sentir que la paix fragile issue de la SDN a vécu. Les alliances se font et se défont, les transfuges ne sont pas ce que l’on croit et de vieux ennemis, sous de nouveaux visages, tentent d’assouvir des vengeances passées.
Le deuxième tome est bien plus difficile à lire que le premier. La puissance des débuts s’essouffle et les longueur s’accumulent. Camille devient l’héroïne, succédant à une Gabrielle que j’avais beaucoup appréciée. Tout est trop complexe, enchevêtré. Les personnages gagnent en opacité, mais cela se ressent sur la narration qui devient confuse. Les épisodes se succèdent sans apparente logique et il est très difficile de tout raccrocher. L’objectif poursuivi par les personnages est impalpable. Je n’aime pas ce genre de narration qui mène le lecteur sur des pistes floues, l’abandonne dans des voies sans issue. C’est réellement dommage, car le premier tome m’avait enchantée. Et je ne suis pas persuadée que la lecture du second tome soit nécessaire. Dans la main du diable peut se lire sans suite.