Roman d’Olivier Adam.
Depuis le départ inexpliqué de son frère Loïc, « son silence assourdissant, le trou noir qui suit » (p. 38), Claire progresse péniblement, jour après jour. Caissière dans une supérette de quartier, elle voit défiler les produits et les clients pressés. « On voit bien qu’elle est très belle, très fragile. […] Elle a quand même un petit air triste. […] Il se peut bien qu’aux larmes d’irritation s’en soient mêlées d’autres, de fatigue, de lassitude. » (p. 26-27) Claire ne comprend pas pourquoi son frère chéri est parti, pourquoi la prétendue dispute entre lui et leur père a pris de telles proportions. Heureusement, il y a les cartes postales qu’il lui envoie, qu’il n’envoie qu’à elle, ces quelques mots qui sont ce qui subsiste de lui par-delà l’absence dévorante, « je pense à toi, je t’embrasse, je vais bien, ne t’en fais pas. » (p.41) Mais au-delà des lettres, que reste-t-il ?
Le lien qui unit Claire à son frère et le manque étourdissant qui résulte de son absence sont de ceux que je ressens physiquement. Si on m’enlevait mon frère jumeau… « Loïc lui manque. Les mains de Loïc sur son front, prise au creux du chagrin. Leurs chemins mêlés. Tous les deux dans les mêmes pas. » (p. 124)
La narration est très fluide. Et c’en est étonnant. Le sujet est grave, l’atmosphère pesante. La fragilité et la douleur de Claire crèvent la page. Mais le récit ne verse dans un pathos dégoulinant. La détresse de la jeune fille est teintée de pudeur, enfouie dans les éloquents silences des souvenirs. Le lecteur n’est pas voyeur. Il assiste à la peine de Claire comme, parfois, on assiste à une explosion de larmes en pleine rue. Le moment prend à la gorge, comme ce roman.
C’est la famille moyenne, la famille traditionnelle, qui est dépeinte ici. Des parents, deux enfants, un pavillon en banlieue, des habitudes. C’est une famille d’autant plus banale qu’elle a des secrets, les fameux secrets de famille, ceux qui se cachent sous tous les toits, derrière toutes les portes. Dans ce roman, le secret de famille acquiert une noblesse nouvelle, la légitimité désespérée du mensonge par omission.
Le film de Philippe Lioret m’avait bouleversée. Si ce n’est quelques changements – Claire est renommée Lili, et elle et Loïc sont jumeaux – l’histoire est la même, délicate et pudique. L’interprétation de Kad Merad est sobre et touchante. Mélanie Laurent est convaincante, bien qu’un peu trop fraîche pour le rôle. La grande force de ce film, c’est sa bande originale, notamment le très remarqué et remarquable U-turn d’Aaron.
Le roman se lit vite, à peine une heure pour moi. Il laisse une belle image, un goût de nostalgie pour l’enfance, quand nos meilleurs amis étaient nos frères et sœurs, à la vie, à la mort.