Roman de Jane Austen.
Mr et Mrs Bennet ont cinq filles : Jane, Elizabeth, Mary, Catherine et Lydia. « L’unique objectif de Mrs Bennet était marier ses filles. » (p. 9) Quand le domaine voisin de Netherfield Park est loué par un jeune homme aux rentes confortable, elle est persuadée que l’une de ses filles deviendra très vite la maîtresse de ces lieux. Le doux et discret Mr Bingley s’éprend rapidement de Jane. Les deux jeunes personnes s’entendent à merveille et leurs caractères semblent s’accorder à la perfection. L’ami de Bingley, le ténébreux Mr Darcy, après avoir dédaigné les charmes d’Elizabeth, succombe à sa vivacité d’esprit dénuée d’affectation et de minauderie. Après des péripéties causées par des personnes malveillantes et jalouses et alimentées par les préjugés que chacun conçoit à l’égard des autres, l’issue est heureuse pour les deux couples.
« C’est une vérité universellement reconnue qu’un homme célibataire doté d’une certaine fortune est nécessairement à la recherche d’une épouse. » (p. 7) Voilà comment s’ouvre le roman, sur un préjugé qui se pare des atours de l’universalité, qui enchaîne les jugements hâtifs et incisifs. L’auteure ne souscrit en rien aux préjugés que véhiculent ses personnages. Le ton désabusé et sarcastique de Mr Bennet à l’égard de son épouse est le sien, tout comme les réflexions sages et pertinentes d’Elizabeth sont l’expression de ses propres idées. Le roman nous est livré par une troisième personne tout à fait anonyme dont les yeux et la voix sont pourtant ceux de Jane Austen, au meilleur de son ironie et de sa férocité.
Férocité, c’est ce qu’il convient de ressentir entre les lignes des descriptions des personnages secondaires. Mr Bennet est un homme indifférent aux sujets qui causent l’agitation fébrile de son épouse. « Il n’était redevable envers son épouse que dans la mesure où elle contribuait à l’amuser par son ignorance et sa sottise. Ce n’est pas là le genre de bonheur qu’un homme souhaite en général devoir à sa femme, mais quand font défaut les autres facultés de divertir, le vrai philosophe tire profit de celles qui sont à sa disposition. » (p. 226) Goguenard, il néglige tout autant ses filles cadettes dont il « ne [cherche] jamais à limiter l’inconduite écervelée » (p. 205) quand elles se jettent au cou des officiers du régiment établi dans la ville voisine.
Les portraits qui ornent la première de couverture, visibles à la Bridgeman Art Library, annoncent ceux qui seront faits des personnages tout au long du livre. De bals en promenades dans la campagne, de conversations sur les prochains mariages en supputations amoureuses, le récit ne s’embarrasse pas de délicatesse quand il s’agit de se moquer des travers des petits nobles et petits bourgeois.
Jane, bien que fille aînée de la famille Bennet, n’est pas le personnage principal de cette critique acide de la société campagnarde anglaise. Sa fadeur et son écœurante magnanimité s’accordent en tout point avec la pâleur de son fiancé qui écoute davantage les avis de son entourage que les élans de son cœur. Elizabeth est la vraie héroïne du roman. Prompte à réagir et à dire ce qu’elle pense, tout en respectant les meilleurs usages de la société (ce n’est pas tout de même pas une rebelle!), elle s’enorgueillit de ses facultés de jugement. Il me semble qu’elle préfigure des personnages comme Jo des Quatre filles du Dr March, des femmes qui décident de leur avenir et construisent leur bonheur avec discernement, sans s’en laisser imposer par la famille ou les puissants.
Quelle terrible vision du rôle de la femme est ici présentée! La seule préoccupation de toute jeune fille bien née et sensée est de se trouver rapidement un époux riche. La cadette de la famille Bennet se jette au cou du premier guignol venu, brade sa vertu et cause bien des tracas à sa famille. La voisine se marie raisonnablement, en choisissant un homme médiocre qui ne l’aimera jamais et pour lequel elle n’éprouvera probablement pas beaucoup plus de sentiments. Jane rencontre son âme sœur, en toute mièvrerie. Même Elizabeth, si elle se défend de céder aux nombreuses avances qui lui sont faites, plonge avec délice et ravissement dans les pièges du mariage dès lors qu’elle est persuadée de faire le bon choix. Seule Mary retient mon attention et mon admiration. Elle est la seule fille Bennet à préférer ses livres aux agitations des bals et des rencontres amoureuses.
« L’orgueil […] me semble un défaut très répandu. […] On peut être orgueilleux sans être vaniteux. L’orgueil vient de l’opinion que nous avons de nous-même, la vanité, de ce que nous voudrions que l’on pensât de nous. » (p. 23) Les vaniteux se bousculent aux portes des salons où les personnages évoluent. Le cousin de Mrs Bennet, Mr Collins, pasteur infatué, n’a rien à envier à la superbe arrogance de Lady Catherine de Bourgh qui pense que sa supériorité la dispense de toute amabilité sincère. Les courtisans bornés sont aussi nombreux que les puissants persuadés de leur importance, et les deux espèces font montre d’une vulgarité toute dénuée de politesse et de modestie.
Je me suis régalée avec ce roman typiquement britannique et féminin. La plume acerbe de Jane Austen m’a ravie. Pas de complaisance à attendre de son côté. Et si le mariage et les relations amoureuses ne sont plus soumis aux mêmes règles que celles décrites dans le roman, il y a toujours du vrai dans les comportements hypocrites des uns et des autres.