Roman de Malla Nunn. Premier tome d’une trilogie à paraître le 23 février 2011.
Septembre 1952 à Jacob’s Rest. Le capitaine de police Willem Pretorius est retrouvé mort sur la rive du fleuve qui sépare l’Afrique du Sud du Mozambique. La famille Pretorius incarne les valeurs du National Party et des Afrikaners et observe strictement un mode de vie fondé sur la religion et le ségrégationnisme. « Huit ans après les plages de Normandie et les ruines de Berlin, on parlait encore d’esprit afrikaners et de pureté de la race dans les plaines africaines. » (p. 12) L’inspecteur-chef Emmanuel Cooper, de Johannesburg, est « envoyé en solo sur le meurtre [de ce] capitaine de police blanc. » (p. 11) D’emblée, il comprend que son enquête sera semée d’embûches : les cinq fils Pretorius ne laissent rien entacher la mémoire de leur père et la Security Branch s’empare de l’affaire sous prétexte de déjouer un complot communiste. Emmanuel Cooper est rapidement écarté de l’affaire mais il est convaincu que « l’assassinat du capitaine [est] indissociable des secrets et mensonges de la petite ville et [n’a] rien à voir avec un complot communiste élaborer pour faire dérailler le National Party. » (p. 287) Jacob’s Rest est un bourg perdu qui vit au rythme de la famille Pretorius et qui palpite de secrets qui ne le restent pas longtemps. Le capitaine Pretorius a développé un attrait pour la culture cafre et zoulou bien difficile à concilier avec les prétentions de pureté affichées par son clan. La ligne de couleur a été franchie. Au-delà d’une histoire de mœurs et de sordide trafic, l’enquête révèle les noirceurs de la nature humaine et échoue à déterminer le prix d’une vie.
Le passé de l’inspecteur Cooper s’esquisse subtilement dans ce premier tome. Le souvenir d’un sergent-major le hante et l’aide à progresser dans ses réflexions. Ce souvenir ravive également des pans de passé enfouis sous le remords et la douleur : on aperçoit une épouse, Angela, des images de la seconde guerre mondiale, des cauchemars, des origines incertaines et de nombreux secrets. Si Cooper est tout d’abord un personnage solitaire voire esseulé, il renoue avec le genre humain à mesure que l’enquête progresse. Il fait fi des préjugés raciaux et forme un trio bigarré avec le policier zoulou Shabalala et le docteur juif allemand Zweigmann. Emmanuel Cooper est une nouvelle figure de policier. Principalement désigné par son prénom, il est plus humain et plus accessible que certains personnages archétypaux des récits policiers qui me hérissent d’ordinaire le poil ! Sous la carapace affichée se dessinent des failles que le second tome – j’espère – contribuera à faire éclater pour révéler davantage le personnage et son passé.
Le roman de Malla Nunn est intéressant à plus d’un titre. D’une part, l’intrigue est finement menée, suffisamment complexe pour faire travailler les méninges à plein régime mais parfaitement maîtrisée et sans incohérence. Les coupables – puisqu’il y a plusieurs affaires, je n’en dirai pas davantage – s’ils sont démasqués, courent toujours. Et la chute du roman n’est en rien une porte qui se ferme. On reste clairement sur sa faim dans l’attente du second tome (à paraître en 2012) dont les alléchantes premières pages sont offertes en conclusion.
D’autre part, le roman dépeint autre chose de l’Afrique du Sud que ses paysages paradisiaques. Le titre français est éloquent, le titre original davantage encore : A Beautiful Place to Die. Les lieux sont superbes, certes. La nature est à la fois poétiquement sauvage et magnifiquement indomptable mais la nature humaine n’est que laideur ou vilenie sous le coup des lois d’immoralité publiées par le National Party, lois qui verrouillent la société. Les relations entre noirs et blancs sont encodées de telle façon que tout acte devient suspect et condamnable. « Les nouvelles lois ségrégationnistes officialisaient l’idée que la tribu noire et la tribu blanche avaient été créées par Dieu pour vivre séparées et se développer parallèlement. Chacune avait sa propre sphère naturelle. » (p. 187) Les comportements extrémistes s’érigent en rempart contre une prétendue contamination de la race : « Les leaders de la tribu afrikaners faisaient grand cas des liens du sang. Leur organisation la plus secrète, le Broederbond, signifiait ‘Les Frères de sang’. Que se passait-il quand le lien franchissait la ligne de couleur et rattachait le noir au blanc ? » (p. 140) L’auteure présente l’apartheid sud-africain sous toutes ses couleurs : les Afrikaners, les Indiens, les métis, les Bantous, les Cafres, les Zoulous, les hommes, les femmes. La conclusion est simple : personne n’est blanc comme neige ni noir comme diable.
Je termine avec une phrase qui m’a saisie à la lecture. Il me semble que, au-delà du pays où se déroule l’intrigue et sans précision d’origine, cette situation s’applique encore trop souvent. « En Afrique du Sud, les Noirs avaient besoin de si peu. Un peu moins chaque jour, c’était la règle générale. » (p. 18) Ce premier tome est une réussite qui me réconcilie avec le genre.