Hajime est né fils unique dans le Japon des années 1950. À cette époque, ce n’était pas encore la norme. Hajime grandit dans la certitude qu’il est différent, pas meilleur, mais pas tout à fait conforme. Et il s’en accommode. « J’éprouvais une certaine paix à être moi-même, satisfait de ne pas être un autre. » (p. 24) Solitaire par goût, il n’éprouve de plaisir qu’en la compagnie de Shimamoto-san, sa voisine et camarade d’école. Shimamoto-san est jolie, intelligente et pleine de promesses. Les deux enfants partagent une commune passion pour la musique classique et nourrissent vaguement des sentiments amoureux qu’ils n’osent se déclarer. Douze ans, ça leur semble trop jeune.
Mais les années passent, le lien se défait. Chacun part de son côté. Hajime vit une adolescence et un âge adulte sans éclat, émaillé de quelques liaisons amoureuses qui ne lui laissent qu’un souvenir amer. La trentaine passée, il épouse Yukiko, simple et douce. Ensemble, ils ont deux filles. Enfin, la vie d’Hajime semble prendre son envol. Il dirige deux clubs de jazz qui, à son image, sont intimes et cultivent le goût de la solitude élégante.
Et voilà que Shimamoto-san retrouve le chemin de son existence. Après vingt ans de séparation, le sentiment est toujours là. Hajime n’a jamais oublié Shimamoto-san et c’est toujours elle qu’il a cherché en toute femme. « Mon attirance allait à quelque chose de plus absolu et de plus intérieur qu’une beauté physique quantifiable ou mesurable. » (p. 46) Hajime est sensible à la force d’attraction des femmes. Mais Shimamoto-san est devenue évanescente, inaccessible, mystérieuse et intransigeante. Entre elle et Hajime, il n’y a qu’un amour manqué. Ce n’est même pas une passion impossible. Ce n’est qu’une relation qui est passée à côté de l’existence.
Celui qui nous raconte son histoire est lourd de douleurs inexprimées et de cris retenus. De s’être retenu de vivre, Hajime ne peut que faire un bilan en demi teinte de son existence. Depuis son enfance en passant par sa morne adolescence jusqu’à ses années d’homme, on le suit en attendant, comme lui, que la flamme prenne. Le titre s’explique musicalement mais également médicalement. Hajime n’a pas osé aller au sud de la frontière ni à l’ouest du soleil pour y découvrir les trésors dont il rêvait. Et quand il a osé, il n’était plus temps. Son récit est celui d’un instant trop tard, d’une main qui se referme sur le vide.
Et c’est également l’expérience que fait le lecteur. Le texte de Murakami est fin, très évocateur. Mais il est inachevé, incomplet. Il ouvre des possibles que je n’ai pas eu envie d’explorer parce que les possibles passés ont avorté, que toutes les questions posées ont été soufflées sans même être considérées. Le texte s’illustre en une phrase : » ‘Quelque temps’, ça peut paraître très long à quelqu’un qui attend. […] Et le mot ‘peut-être’ pèse aussi d’un poids incommensurable. » (p. 177) Le texte de Murakami se situe exactement entre le quelque temps et le peut-être.
Haruki Murakami est le traducteur japonais de John Irving et Francis Scott Fitzgerald. Rien que cela aurait suffit à me le rendre sympathique. Mais j’avais déjà lu son Kafka sur le rivage qui m’avait enchantée au-delà de toute mesure. Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil, court roman intimiste, est loin d’être déplaisant mais il laisse un goût d’infini trop amer. Il me faudra lire d’autres textes de l’auteur.