358 après J.C. À Lutèce, capitale des Gaules, alors que l’hiver est extrêmement rigoureux, des femmes enceintes souffrent d’un mal étrange : elles sont en proie à des cauchemars et à des douleurs insoutenables. Pour comprendre les origines de cette malédiction, il faut remonter 33 ans plus tôt, lors du concile de Nicée. Là-bas, Necronia, habile sorcière, et Athanase, chrétien fanatique, ont noué un pacte macabre. Marcus Pius, centurion stationné à Lutèce, est mandaté pour mener l’enquête et retrouver les sages-femmes qui ont disparu et comprendre quel est le mal qui affectent les femmes enceintes. « On ne peut décemment pas laisser souffrir et mourir toutes les femmes de Lutèce. » (p. 44) Il doit faire vite : l’épouse d’un de ses soldats et celle du César Julien sont également frappées par cette malédiction empoisonnante.
Voilà un polar historique de bonne facture. L’auteur a pris pour point de départ le concile de Nicée et pour point d’arrivée un évènement personnel de la vie du César Julien, tel qu’il l’a mentionné dans ses mémoires. Le récit est sous-tendu par des citations traduites des chroniques d’Ammien, lui-même personnage clé du roman. Marcus Pius est un héros fictif qui croise des figures de l’Antiquité tardive et qui inscrit son aventure dans l’histoire très méconnue des premiers temps de Lutèce, qui deviendra Paris.
« Julien veut faire de Lutèce un lieu où se rencontreront des intellectuels, des artistes et des penseurs afin d’élever le niveau de connaissance dans des domaines bien mis à mal par les croyances et les superstitions chrétiennes. » (p. 51) Hormis l’usage anachronique du mot « intellectuel », cette citation illustre parfaitement les projets d’un général éclairé dans un monde qui se cherche entre paganisme et christianisme naissant. Le concile de Nicée a vaguement tenté d’unifier les adeptes de Christus autour d’un même Credo, mais l’empreinte du polythéisme antique ne s’efface pas encore.
Le récit est intéressant d’un point de vue médical. Correx, Gryllos, Salustios et Oribase sont médecins et ils témoignent de la curiosité scientifique de l’époque. Les maieutikas, ou sages-femmes, sont détentrices d’un savoir obscur, mais précieux. Entre savoir et croyance, l’enquête ne peut ignorer « la dimension mystique et religieuse qui se cache derrière ces maléfices. » (p. 158)
L’auteur use de termes latins pour désigner des choses éminemment latines : les armes, les vêtements, l’urbanisme, etc. Il est dommage que le glossaire ne soit pas complet puisque certains termes qui y renvoient ne s’y trouvent pas. La formulation en latin des ordres militaires donne l’illusion de la bataille et participe de la puissance d’évocation qui permet une immersion réussie.
Il me manque d’avoir lu la première aventure de Marcus Pius, Le feu de Mithra. Cela m’aurait permis de me familiariser davantage avec les personnages et de mieux comprendre les références à la première enquête et à la bataille d’Argentoratum contre les Alamans. Néanmoins, ce volume peut se lire indépendamment du premier et offre un divertissement de qualité. L’univers mystico-religieux est parfaitement maîtrisé et mis au service d’une théorie du complot comme on aimerait en lire plus souvent : vraiment politique et pas uniquement hystérique (pour ceux qui auraient un doute, oui je pense aux textes de Dan Brown). Peur sur Lutèce est un bon roman qui mêle histoire et enquête avec intelligence.