Roman de Françoise Sagan.
« Ce n’est pas de la littérature, ce n’est pas une vraie confession, c’est quelqu’une qui tape à la machine parce qu’elle a peur d’elle-même et de la machine et des matins et des soirs, etc. Et des autres. Ce n’est pas beau la peur, c’est même honteux et je ne la connaissais pas. » (p. 6) Qui s’exprime ainsi ? Est-ce Françoise Sagan qui livre un récit personnel couplé d’un roman ? Est-ce un jeu pour perdre le lecteur ? Pour initier une relation illusoire, une intimité factice mais tant désirée ?
La narratrice/auteure livre ses réflexions sur le livre en cours, la littérature et l’existence. Elle entrecoupe sa confession – car c’en est une – de l’histoire de Sébastien et Éléonore Van Milhem, frère et sœur, beaux et blonds, mille fois conscients de leurs charmes, indifférents à tout ce qui n’est pas eux, prêts à payer de leur personne sans jamais s’attacher, mais dans le but avoué et assumé de goûter un peu plus de luxe et de facilité.
Ce texte dévoile toute la fragilité d’une auteure sur le fil. Elle a beau dire qu’ « il n’y aura aucun élément autobiographique » (p. 19), on ne peut s’empêcher de penser qu’on lit ici une autobiographie douloureuse, comme certains portraits à l’oreille coupée. Et ne sont-ils pas tout aussi fragiles ses personnages ? Sébastien ne peut vivre sans « Éléonore, son bel oiseau, sa sœur, sa complice, le grand amour de sa vie. » (p. 26) Éléonore se repose sur son frère. Tour à tour pourvoyeurs des désirs de l’autre, les Van Milhem forment un couple des plus ambigus, au-delà même de l’inceste, terme trop vulgaire pour illustrer leur relation d’exclusivité et d’infidélité.
Il n’y a de Van Milhem que par Sagan, mais qu’aurait dit Sagan sans les Van Milhem ? Ce couple superbe, parasite adoré des riches et des prétentieux, est l’aboutissement d’une écriture. Quand Françoise Sagan se demande pourquoi écrire, elle couche sur le papier Eléonore et Sébastien. Ni projection d’elle-même, ni fantasme, ils sont précisément les motifs d’une réflexion intime et littéraire.
Ce récit hybride est très court et cette brièveté même lui confère un cinglant salutaire. Si l’auteure avait davantage prolongé ses aveux et différé les méfaits cruels des Van Milhem, le texte serait devenu un poncif, une méchante mise en scène du monde. Ici, on a simplement soulevé un rideau, jeté un regard furtif et, finalement, détourné les yeux. Mais quel plaisir dans ce regard coupable !