Ouvrage collectif édité par le Musée des Lettres et Manuscrits. Livre reçu en prix pour ma lettre à l’écrivain.
Cet ouvrage est édité par le Musée des Lettres et Manuscrits à l’occasion de l’exposition éponyme qui s’y tient du 29 avril au 28 août. Ces lettres ont été écrites entre 1800 et 1950 par une quarantaine de peintres dont voici la liste : Jean Auguste Dominique Ingres, Théodore Géricault, Eugène Delacroix, Gustave Courbet, Eugène Boudin, Camille Pissaro, Édouard Manet, Edgar Degas, Alfred Sisley, Paul Cézanne, Berthe Morizot, Claude Monet, Auguste Renoir, Gustave Caillebotte, Paul Gauguin, Vincent Van Gogh, Georges Seurat, Henri de Toulouse-Lautrec, Paul Signac, Pierre Bonard, André Derain, Vassily Kandinsky, Raoul Dufy, Francis Picabia, Fernand Léger, Georges Braque, Juan Gris, Henri Matisse, Robert Delauney, Marc Chagall, Marcel Duchamp, Max Ernst, René Magritte, Salvador Dali, Joan Miro, Gaston Chaissac. J’en ai découvert une bonne dizaine dont je ne connaissais même pas le nom ! Impressionnistes, cubistes, pointillistes, affichistes et consorts se révèlent pour notre plus grand plaisir !
Dans ces lettres, les peintres se dévoilent autrement que par le pinceau : ils prennent la plume. Estelle Gaudry, commissaire de l’exposition met en avant le geste qui sert à tracer, qu’il s’agisse d’une ligne ou d’une lettre. « Les toiles se composent de plusieurs couches de pigments, de craquelures, de vernis, tout comme les lettres, lesquelles se superposent avec parfois des ratures : enthousiasme, sensibilité, inquiétude, colère, incertitude… »
Outre les lettres intimes et amoureuses ou les lettres aux journalistes ou professionnels de la peinture (galeriste, fournisseur, etc.), ces correspondances s’adressent à d’autres peintres (Pissaro écrit à Gauguin et Manet, Manet écrit à Monet, etc.), mais aussi à des écrivains (Delacroix écrit à Baudelaire, Courbet écrit à Hugo, Miro écrit à Queneau, etc.) Ces lettres composent un grand portrait de famille et explicitent les relations des peintres avec le reste du monde.
Que contiennent-elles ces lettres ? On y trouve des considérations sur l’art, des défenses véhémentes, des allusions à des toiles en devenir agrémentées de croquis et de premières esquisses. On lit également des anecdotes personnelles, des récits de voyage et des messages d’amitié ou d’amour. Ce qui m’a le plus intéressée, ce sont les lettres-chroniques qui livrent des témoignages historiques sur Paris assiégée ou sur d’autres évènements marquants.
J’ai beaucoup ri en lisant la lettre de Mme Ingres à un journaliste : « Depuis longtemps je désire rectifier une assertion qui se propage dans les journaux et dans les mémoires artistiques, à propos de prétentions que M. Ingres montrait pour son violon beaucoup plus, dit-on, que pour son pinceau. » Ah, si elle savait ce qu’on en dit encore aujourd’hui ! Et la lettre de Monet, qui lance une souscription auprès de ses amis peintres et amateurs d’art pour acheter l’Olympia de Manet afin de l’offrir au Louvre, est vraiment émouvante bien que très factuelle : en face de chaque nom s’affiche la somme versée. Les défenseurs de l’art ne connaissent pas le repos !
La présentation des lettres est intelligente et élégante : en page gauche se trouve le texte transcrit et agrémenté de notes biographiques et historiques ; en page droite s’étale le fac-similé de la lettre manuscrite. On trouve aussi des reproductions des tableaux des peintres cités, en vignette ou double page. Et c’est toujours un plaisir de croiser l’Olympia de Manet !
Certaines écritures sont absolument illisibles et la transcription est la bienvenue. D’autres graphies sont plus ou moins brouillonnes, élégantes ou soignées. C’est alors un plaisir de lire la lettre originale, même si déchiffrer les pattes de mouches et les gribouillis reste un agréable défi. On sait que des peintres comme Gauguin étaient de vrais épistoliers et des correspondants attentifs et réguliers. Mais des peintres comme Manet étaient plus secrets et moins prolixes, ce qui rend les lettres présentées réellement précieuses.
S’il y a une part de voyeurisme dans cet ouvrage et dans l’exposition qui les présente ? Peut-être un peu… Nous sommes déjà avides des toiles de ces grands maîtres, voilà que l’on veut tout savoir de leur vie épistolaire ! Toutes les lettres ne brillent pas leur talent littéraire et c’est presque dommage de rencontrer l’homme derrière le génie, celui qui rature et qui fait des fautes. Toutes les correspondances ne sont pas bonnes à lire…
Ce beau-livre se lit par touches, avec le même regard que celui que l’on a dans une exposition. Il faut se laisser entraîner par une image plutôt que suivre un cheminement tout tracé. Revenir en arrière, faire un saut de géant, passer en coup de vent, tout ça est permis. Massif et pesant, l’ouvrage se manipule avec précaution et gourmandise, mais gare à l’indigestion !