Voilà le drame : l’agent Strangsways et son assistante Marie Trueblood sont assassinés à la Jamaïque. « La station Caraïbes ne répondrait plus. »(p. 16) À Londres, dans les bureaux des services secrets, d’aucuns s’accordent à croire que la disparition des deux agents est une fugue amoureuse. Qui envoie-t-on sur les lieux de cette affaire ? Un James Bond plus ou moins bien rafistolé après une mission russe qui a mal tournée. L’enquête à la Jamaïque, sensée être une cure de repos, a l’odeur très reconnaissable de la brimade. Il en faut plus pour démonter James Bond.
Pour l’agent 007, ces vacances n’en ont que le nom. « L’instinct de Bond lui disait qu’il était sur une affaire sérieuse et difficile, comme il les aimait. (p. 45) Il pressent que la disparition des agents Strangsways et Trueblood a un lien avec la mystérieuse île de Crab Key, au large de la Jamaïque. L’île appartient au Docteur No, un chinois inconnu qui ne semble pas uniquement intéressé par les ressources en guano du lieu. « Ce Chinois ne veut personne chez lui. Il a fait tuer […] tous ceux qui s’approchent de Crab Key. C’est un gros bonnet. Il tuera tous ceux qui se trouvent sur son chemin. » (p. 48) Qu’on se le dise, Crab Key est le dernier endroit du monde où vous pourriez prendre des vacances. Mais pour se refaire une santé, Bond est prêt à tout. Il troque Quarrell, fidèle compagnon et masse de muscles, contre Honey, superbe pépé locale pas farouche pour deux sous. Il a raison Bond : en vacances, il faut savoir s’entourer.
Pour ceux qui en douteraient, Bond se débarrasse du méchant après quelques exercices qui retapent la santé, il emballe la nénette et il fait un subtil pied-de-nez à sa hiérarchie. Non mais, faut pas l’embêter James !
C’est un agent 007 avec des kilomètres au compteur que l’on croise dans cette aventure. Privé de son Beretta et contraint d’utiliser de nouvelles armes, on le sent un peu fragilisé mais jamais démuni et toujours plein de flegme et d’humour so british. « Bond se glissa tout nu sous le drap de coton et plaça son Walther sous l’oreiller. Il détestait dormir seul. » (p. 71) [Vous aussi, ça vous fait frissonner les orteils ?] L’homme fort de la situation, c’est toujours Bond : alors à lui les aventures musclées, les échanges de feu décomplexés et les belles poupées jamaïcaines. Le repos du guerrier, ce sera pour une autre fois. À croire que les vilains mégalos aux ambitions farfelues poussent sous ses pieds !
Il était temps que je lise mon premier James Bond ! C’est fait, je passe à autre chose. Les films m’ont toujours souverainement agacée, sauf ceux avec Daniel Craig, plutôt bien tournés (les tablettes de chocolat du dernier agent 007 y sont peut-être pour quelque chose) James Bond contre docteur No, c’est comme le Père Noël, on voudrait y croire mais pourtant… Je ne peux pas faire de comparaison avec de précédentes aventures, mais je me demande comment ce héros a pu à ce point enthousiasmer les foules ! Mesdames, vous y croyez à ce grand ténébreux qui passe à travers les balles ? Messieurs, vous n’êtes pas mortellement jaloux de l’espion qui les aime toutes ? Dans la surenchère, Ian Fleming est un maître : « Bon, j’ai mis un scolopendre venimeux et des tarentules surexcitées… Si je rajoutais des crabes affamés et un poulpe mangeur d’homme ? Ouais, ça va plaire ça ! » D’aucuns me diront que ce genre d’histoire était révolutionnaire à l’époque, en pleine terreur rouge, les missiles de Cuba, et blablabla. Un James Bond, ça se lit sans déplaisir, mais le sourire sardonique finit par se crisper, gare à la crampe des zygomatiques !