Quatre personnes voyagent à travers l’Angleterre dans une voiture mourante. Marlene, Henderson, Peacock et Tupelo ne se connaissaient pas, mais ils fuient l’infection et n’oublient pas de prendre leur médicament à heure fixe. Ce remède, c’est la Lucidité, aussi dite Lucy. Mais attention, l’overdose est vite arrivée et l’effet du médicament est exactement l’inverse de ce qu’il doit produire. Et Marlene, traumatisée par la mort de son enfant, rêve parfois de lâcher prise. « Mais je n’aspirais qu’à descendre en marche alors même que nous accélérions. Cette pulsion insensée m’a submergée : savourer la poudre pleinement, pour une fois. Courir dans les particules volantes, bouche ouverte, respirer la poussière à pleins poumons, pour une overdose. » (p. 17) Sans cesse rattrapée par ses camarades, Marlene est sur le fil.
Quand elle est lucide, Marlene écrit ce qu’elle vit, ses quelques souvenirs, son voyage, sa mission. Dans son pauvre carnet, les idées s’entrechoquent, se mélangent et la réalité semble de plus en plus difficile à fixer. « Que serais-je, sans lucidité ? Je ne serais pas capable d’écrire. Je ne comprendrais pas réellement les mots prononcés. Le monde s’emplirait de bruit et je serais perdue, complètement. » (p. 39) Et même en pleine lucidité, la mission que lui a confiée Kingsley lui semble de plus en plus absconse. Pourquoi continuer à chercher quand les mots s’effacent des pages quand on les lit ? Il faudrait réapprendre à déchiffrer les messages, réapprendre la communication. « Ainsi vivons nous aujourd’hui ; seuls ces réajustements permanents permettent de former une image globale, vraie ou non. » (p. 292)
L’infection n’est jamais clairement présentée. Il est question d’un bruit qui envahit tout, qui brouille les messages et la communication. Désormais, le processus de transmission et de réception est perverti. L’infection touche les vivants comme les objets. Et le pire, ce sont les miroirs : ils ont tous été recouverts, cachés ou détruits. Les reflets se rebellent et refusent de rester prisonniers des surfaces de verre. « Mais tout était mensonge, je le savais. Le signal était corrompu. Dans la si petite distance parcourue entre moi et l’image de moi, ça se décomposait. Là était le danger, le bruit prisonnier d’une boucle. Un visage me hurlait dessus, me faisait frapper le miroir du plat de la main. Le miroir ne s’est pas cassé. Je me suis fait mal à la main. » (p. 184) Qui a-t-il vraiment de l’autre côté du miroir ? Faut-il s’y risquer ? « Elle m’a dit qu’un démon vivait dans le miroir. […] Il la dévorait, a-t-elle dit. Il dévorait son apparence. » (p. 208)
Dans cette odyssée sans but, la voiture mourante est le cheval de Troie des 4 voyageurs. Ils ne vont nulle part et accomplissent une mission dont l’objectif est incertain, voire inconnu. Un roman de La Volte, c’est toujours un bel objet, avec une douce couverture et des pages souples et épaisses. Et quand il renferme une telle merveille de dystopie, ça devient un trésor. Une touche de Lewis Carroll, une référence aux Beattles et voilà un OVNI littéraire tout à fait fascinant. Si vous n’avez rien compris à mon billet, c’est normal. Prenez un peu de Lucidité. Et « si vous pouvez lire cette phrase, c’est que vous êtes en vie. »