« Pour ceux de l’autre côté du monde, il faut que je dise tout ce qui ne sera peut-être pas. Tout ce que je sais, ici, au fond du ventre de ma mère. » (p. 8)
Ainsi s’ouvre un récit étrange dont les premières pages oscillent entre conte noir et roman gothique. Dans un château de Dordogne, on dit que l’enfant qui vient de naître est le fils du diable. Quiconque s’approche de lui est maudit ou voué à souffrir, voire à mourir. En grandissant, le garçon bâtard deviendra pourtant Charles d’Éperay, héritier du domaine.
À quelques lieues, une enfant perdue est recueillie par la noble famille de Montherlant. Judith grandit auprès d’une mère aimante et d’un oncle inventeur un peu loufoque. Rien ne semble devoir ébranler son existence. Jusqu’au jour des noces de sa sœur, quand son regard croise celui d’un jeune homme sombre, aux yeux noirs comme l’enfer. Entre Charles et Judith, l’amour est une passion immédiate, un bûcher aveugle. « Cette folie-là était sa salvation, leur salvation à tous les deux, lui le bâtard et elle l’enfant de personne, la perdue. » (p. 187)
Au même moment, c’est la France tout entière qui s’ébroue. Le peuple a demandé des États généraux : ils finiront dans le sang, la Bastille sera prise, les têtes tomberont. Au milieu du tumulte qui soulève le pays, Judith et Charles se retrouvent, se séparent, s’aiment et se haïssent. « Il aurait dû savoir dès cet instant que sa révolution n’était pas celle qui retentissait à grands coups de canon de l’autre côté de la porte de bois. » (p. 417) Mais il faudra du temps pour apaiser les cœurs et les esprits. « La vie peut-être un océan noir d’amères désolations, mais il peut aussi y avoir, au milieu des vagues sombres, des terres bénies où serpentent des fleuves de miel et de vin. » (p. 542)
Myriam Chirousse offre un roman plein d’une sensualité sauvage. Charles d’Éperay est un héros sombre qui n’est pas sans rappeler le ténébreux Heathcliff d’Emily Brontë. Pétri de violence depuis son enfance blessée, il déborde de hargne et de vindicte amère. Pour lui, la Révolution est l’occasion de prendre une revanche sur toute la souffrance qu’on lui a infligée : « Dans les ténèbres qui s’annonçaient, il deviendrait le bras de l’égalité, l’archange vengeur de la République. » (p. 258) À l’inverse, Judith se présente comme un être lumineux, tendu vers la vie et l’espoir. Je la trouvais insignifiante jusqu’à ce qu’elle devienne mère et un peu louve. Le choc entre ces deux personnages ne pouvait être que brutal. Mais détrompez-vous, Miel et vin n’est pas une romance historique à la sauce Harlequin, c’est bien davantage.
L’auteure peint à plaisir et avec talent le Périgord, région dont je garde quelques souvenirs très forts après des vacances en famille. La construction du récit n’est pas spécialement originale, mais le suspense est haletant dès la première page, quand l’enfant à naître prend la parole. L’enfant narrateur intervient parfois dans le récit : alors qu’il prophétise sur les existences futures de ses parents, on sent aussi qu’il risque à tout moment de lâcher de prise, de disparaître avant même d’être né. Myriam Chirousse maîtrise l’art de la prétérition et a su nouer un mystère simple, mais fracassant.
Bref, c’est un roman très réussi, palpitant et sur lequel il y a beaucoup à dire.