Le narrateur est un écrivain dans le creux de la vague. Réduit à écrire des scénarios sans intérêt pour la télévision, il a le sentiment d’avoir laissé passer sa chance et de gâcher son talent. Et ce n’est pas auprès des siens qu’il peut reprendre confiance en lui. Son épouse est de plus en plus irascible et ses enfants ne sont que des sources de déception. « Le mariage brutalise un homme. La paternité aussi. Et puis le chômage. Et les chiens. » (p. 25) Parlons-en, des chiens ! Le héros est hanté par le souvenir de Rocco, superbe bull-terrier adoré par son maître. Alors, quand un gros chien s’invite dans la maison, l’écrivain ne fait pas grand-chose pour lui barrer le passage. Et tant pis si ce chien, nommé à propos Stupide, a tendance à vouloir violer tout le monde, sans distinction de sexe ou d’espèce. « Stupide était la victoire, les livres que je n’avais pas écrits, les endroits que je n’avais pas vus, la Maserati que je n’avais jamais eue, les femmes qui me faisaient envie. » (p. 53)
C’est avec un plaisir un peu sournois que j’ai observé cette famille bancale et individualiste où les parents ne se leurrent pas devant les défauts de leur progéniture et où les enfants ne font montre d’aucun respect envers leurs géniteurs. « Ils étaient quatre graines égarées dans quelque obscure trompe de Fallope. » (p. 85) Il ne s’agit pas d’absence d’amour, mais plutôt d’une affection désabusée et sarcastique. La seule échappatoire de l’écrivain est l’Italie, tel un ailleurs fantasmé et inatteignable. Au milieu de ce joyeux foutoir cynique, Stupide est le seul être honnête, cédant sans vergogne à ses pulsions et à ses affections. Mon chien Stupide est un petit bijou d’humour grinçant qui griffe à plaisir le mythe californien et ternit sans honte les ors trompeurs du succès artistique et mondain, largement éprouvé par l’auteur.