Roman autobiographique d’Édouard Louis.
Eddy Bellegueule a toujours eu conscience de sa différence : il est délicat, ce n’est pas un dur. Dans la famille où il est né, c’est une anomalie, une tare, une honte. « Ils pensaient que j’avais fait le choix d’être efféminé, comme une esthétique de moi-même que j’aurais poursuivie pour leur déplaire. » (p. 27) Martyrisé à l’école, moqué dans le village, humilié dans sa famille, Eddy encaisse, coup après coup, sans rien dire, parce que se plaindre, ce serait encore plus honteux pour lui et les siens. « On ne s’habitue pas tant que cela à la douleur. » (p. 41) Pendant des années, le garçon essaie de devenir ce qu’on attend de lui et lutte contre lui-même.
Le malheur d’Eddy Bellegueule, ce n’est pas tant d’être un garçon aux tendances homosexuelles, c’est d’être né dans un milieu défavorisé où la pauvreté est autant matérielle qu’intellectuelle et où il ne fait pas bon être autre chose qu’un homme, un vrai. Dans sa lutte contre le déterminisme social et familial, Eddy Bellegueule s’illustre comme un être courageux, à tel point qu’il aurait pu, sans rougir, être un personnage d’Émile Zola. « L’impossibilité de le faire empêchait la possibilité de le vouloir, qui à son tour fermait les possibles. » (p. 79) Refusant de se contenter de ce qui semble destiné et immuable, il ose voir plus loin pour vivre mieux. Se sauver de chez lui pour se sauver lui-même, c’est finalement la seule solution.
En finir avec Eddy Bellegueule est un roman autobiographique. Le mot important est « roman ». Largement inspiré de son enfance et de ses souffrances, le texte appartient à la fiction et il serait vain et crétin d’y voir un simple règlement de compte à l’encontre de ceux qui ont fait de son enfance un enfer. On peut se dire que cette histoire est partielle et partiale puisqu’un seul protagoniste s’exprime au nom des autres. « Elle formule la thèse de la folie pour ne pas laisser échapper cet autre mot, pédé, ne pas penser à l’homosexualité, l’écarter, se convaincre que c’est de la folie, préférable au fait d’avoir pour fils une tapette. » (p. 123) Et alors ? Roman ou autobiographie, fiction ou réalité, En finir avec Eddy Bellegueule est un texte nécessaire sur l’homophobie qui, dans certains milieux, est plus une habitude qu’une véritable prise de position. Mais qu’elle soit pensée ou bêtement suivie, l’homophobie est un mal qui ronge les fondements d’une société qui se prétend égalitaire.