Charlemagne a 72 ans. La fièvre et la fatigue tiennent son corps. Il le sent : sa fin est proche. Avant de rejoindre son créateur, il veut lui rendre un dernier hommage en racontant sa vie et ses 46 ans de règne, une existence dévouée à l’Église. Humblement, le roi des Francs et des Lombards, couronné empereur à Rome, se raconte et se confesse. Ses propos nocturnes sont saisis au vol par la plume d’Eginhard.
Son destin royal, Charlemagne en a hérité. « Comment aurais-je pu avoir des nuits paisibles alors que le passé glorieux de Charles Martel et de Pépin le Bref bouillonnait dans ma tête ? » (p. 20) Mais il a su se bâtir un royaume, voire un empire à sa mesure. « J’eus donc la guerre pour m’enseigner l’art de gouverner. Et découvris qu’elle ne s’arrêtait jamais. » (p. 43) Inlassablement, Charlemagne guerroie pour défendre ses terres et acquérir de nouveaux territoires. Son peuple devient immense et son pouvoir est reconnu par les chefs religieux et les souverains de l’Occident et de l’Orient. Amoureux infatigable, Charlemagne se marie cinq fois et côtoie de nombreuses concubines. Ces femmes lui ont offert un trésor inestimable : une descendance nombreuse à laquelle confier son royaume. Hélas, le temps frappe injustement et le roi franc perd femmes, enfants et famille bien trop tôt. « La mort m’a donc accompagné. J’ai perdu des enfants en bas âge et des fils dont j’avais déjà pu mesurer les qualités. Mais Dieu décide. […] Dieu décidait. Je vivais. Donc j’étais entre ses mains. » (p. 76 & 77)
Mais, toujours, Charlemagne est un roi pieux dont les actions et les combats sont dédiés à la Sainte Église. « Le butin que j’offrais à notre Seigneur, c’était de nouveaux chrétiens. » (p. 100) Humble devant le savoir, il ne cesse toute sa vie de côtoyer des maîtres et des sages pour apprendre toujours plus. Il estime que la connaissance forme les âmes et garantit la valeur des hommes, parce qu’il n’y a pas de vertu sans savoir. « La justice, l’équité, la propriété, la charité : j’ai voulu que ces mots fassent battre le cœur de chaque chrétien. » (p. 149) En sa capitale d’Aix-la-Chapelle, le grand Charles fait bâtir des thermes pour la pureté du corps et une bibliothèque pour la vie de l’esprit. Au crépuscule de son existence, il règne sur un empire physique et humain. Hélas, on sait trop bien comment cet empire sera partagé entre ses petits-fils. « Le traité de Verdun commençait la séparation de l’Italie, de la future France et de la future Allemagne. » (p. 185) À peu de choses près, Charlemagne avait créé l’Europe, mais aussi certaines de ses luttes intestines !
J’ai beaucoup lu Max Gallo quand j’étais adolescente grâce à mon grand-père qui achetait tous ses livres. Avec cet auteur, et après Alexandre Dumas, j’ai redécouvert à quel point l’histoire pouvait être passionnante quand elle est bien racontée. Dans ce récit mis dans la bouche de Karolus Magnus, il y a quelque chose qui m’a rappelé La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra : quand les puissants déchoient, le constat de leur chute est incrédule et pourtant étonnamment humble. C’est avec un immense plaisir que j’ai écouté le récit de Charlemagne, loin des clichés à base de barbe fleurie et d’invention de l’école.