Roman de Virginie Despentes.
La fin du précédent tome laissait Vernon Subutex dans la rue, en proie à une fièvre violente et à un délire qui ne le quittera plus. Le voilà étrangement libéré. « Il aimerait se faire pitié, ou horreur. Quelque chose. Mais rien. Que cette tranquillité absurde. » (p. 9) Fini de lutter contre les moulins à vent. Fini de vouloir remonter une pente dont il n’atteindra jamais le haut. Vernon est à la rue et il s’y sent étonnamment bien. « À sa façon, il perd connaissance, mais au lieu de convulser et de souffrir, il est radieux. » (p. 234) Les protagonistes du premier volume l’ont retrouvé, ainsi que les enregistrements inédits d’Alex Bleach. Tout le monde a écouté les délires sous acide de la rock star décédée dont chacun espère pouvoir tirer profit. Mais au milieu d’un fatras de considérations foireuses sur la vie, Alex Bleach a lâché une bombe que certains ne veulent pas voir étalée dans la presse.
Pendant que d’aucuns s’agitent pour gérer les merdes du passé, les Buttes-Chaumont deviennent le rendez-vous quotidien de la bande à Vernon : tous ses vieux amis, ses potes SDF et un tas de connaissances par alliance se réunissent sous un arbre, autour du clodo devenu une sorte de gourou. « Ils ont commencé par être lourds : Mais qu’est-ce que tu vas faire ? sur un ton concerné. Ça lui donnait envie de répondre : Et toi, ta misère, tu la gères comment ? »(p. 139) Vernon, apôtre du renoncement et du lâcher-prise, ça fait un peu bizarre, mais finalement, ça colle assez avec l’esprit rebelle initial du rock, avant qu’il se vende au capital. « Le rock convenait à la langue officielle du capitalisme, celle de la publicité : slogan, plaisir, individualisme, un son qui t’impacte sans ton consentement. » (p. 96 & 97) Plus que gourou, Vernon est reconnu pour ses talents de DJ : quand il mixe, il place toujours le bon morceau au bon moment, dans le bon enchaînement. Et tout le monde danse au cours d’étranges cérémonies musicales.
Ce deuxième volume est plus politique : l’univers de Vernon est un creuset où tout se mélange avant l’explosion. Le racisme, la précarité et la quête familiale seront les détonateurs. « On a beau affirmer ne croire en rien, merde, on finit toujours par admirer l’impeccabilité de l’agencement du bordel. Comme si un scribe bourré, dans un coin, avait comploté le truc depuis des mois. » (p. 68) Vernon reste la figure tutélaire de l’intrigue, mais on le voit moins, au profit de personnages secondaires qui ont vraiment gagné à être développés. La jeune Aïcha, fille de pornstar et d’universitaire, étudiante studieuse et convertie à l’Islam, incarne une problématique moderne et porte de nombreuses interrogations. Est-il possible de croire sans être fanatique ? La foi n’est-elle pas le pendant chic de la violence et du terrorisme ? À la recherche d’une figure maternelle à restaurer, Aïcha est sans aucun doute un des personnages les plus couillus de ce roman.
J’ai depuis longtemps cessé de trouver un quelconque intérêt au name-dropping, mais je reconnais que Virginie Despentes le manie avec élégance. Et je lui trouve un style plus mature, plus apaisé que dans Baise-moi ou Les jolies choses. Ça ne veut pas dire qu’elle a perdu de son mordant, mais qu’elle n’attaque plus le premier jarret qui passe, ce qui est vraiment reposant et permet de mieux saisir les enjeux et la portée de son texte.