Le procès est terminé. Ponce Pilate a condamné Jésus le Nazaréen à la crucifixion. Commence la dernière et longue nuit du Christ : dans sa triste cellule, loin du mont des Oliviers, l’homme ne dort pas. Entre confiteor et colère, il ne sait comment se préparer au supplice qui l’attend. Blessé d’avoir été trahi par les miraculés, il se sent plus seul que jamais. « À l’évidence, il n’a pas fallu les soudoyer, ni même les encourager. Ils sont tous venus témoigner contre moi de leur plein gré. » (p. 5) La tentation de la fuite est grande, par peur de la douleur et par peur de faiblir. Jésus redoute les coups et les plaies, car il se sait fait de chair, comme l’a voulu son Père. « J’ai la conviction infalsifiable d’être le plus incarné des humains. » (p. 9) Alors, pour espérer et détourner son esprit de la peur, il se raccroche à la soif et à ses promesses aussi douloureuses qu’enivrantes. Il s’impose un ultime désert pour mieux supporter la torture à venir. « Il y a des gens qui pensent ne pas être des mystiques. Ils se trompent. Il suffit d’avoir crevé de soif un moment pour accéder à ce statut. Et l’instant ineffable où l’assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d’eau, c’est Dieu. » (p. 24)
Viennent le matin et l’épuisant chemin de croix jusqu’au Golgotha. Viennent les moqueries et les crachats. Viennent les mains et les pieds cloués au bois dur de la croix. Viennent les derniers regards échangés avec sa mère et Marie-Madeleine. Et après les derniers sévices, la mort enfin. « Pour éprouver la soif, il faut être vivant. J’ai vécu si fort que je suis mort assoiffé. C’est peut-être cela, la vie éternelle. » (p. 68) L’homme est parti, reste le Christ.
Amélie Nothomb n’oublie rien des dernières heures de Jésus. Ni les chutes sur le chemin de croix, ni les brutalités, ni les secours inattendus, ni la soif, ni la rancœur envers Dieu. « C’est par amour envers sa création que mon père m’a livré. Trouvez-moi acte d’amour plus pervers. » (p. 47) Elle n’oublie pas non plus la descente de la croix, la mise au tombeau et la résurrection. J’aime que les femmes parlent de la Bible, parce qu’elles le font vraiment bien. Pas mieux que les hommes, mais avec une sensibilité et une intelligence différentes. J’ai déjà dit tout le bien que je pense de Sylvie Germain : lisez Les échos du silence ou Mourir un peu. Amélie Nothomb me surprend ici avec un texte profond et puissant qui change des gentilles réécritures de contes ou des réflexions un peu creuses sur la famille et l’identité. Je ne sais pas si Soif marque un tournant dans l’œuvre de cette autrice, mais il est certain que j’espère que l’iconique Belge aux chapeaux extravagants poursuivra dans cette voie.