« Je suis si jeune pour être triste. Trop jeune. Vingt-six ans. Mais c’est comme si j’en avais cent tellement ma vie est lourde à traîner. » (p. 151) Sissi est une jeune femme atrocement seule. Solitaire. Isolée. Abandonnée. Elle a grandi entre une mère folle et suicidaire et une grand-mère autoritaire et assez peu bienveillante. Son manque d’amour est insondable, alors elle se donne à tout va. « Mais par-dessus tout, ce dont j’ai le plus peur, c’est de ne pas être aimée. Alors j’ouvre mes jambes afin de voir le ciel ou mon petit bout de paradis. […] Je m’aime si peu, alors que m’importe d’ouvrir les jambes pour tous ceux qui semblent m’aimer un peu. » (p. 12) Sissi aime dominer les hommes, prendre le pouvoir à défaut de l’amour. Gare aux hommes – et aux femmes – à qui elle se donne ! « Je suis une castratrice. Une cantatrice de la castration. Je fais un chant de mon corps pour mieux leur couper les bijoux de famille avec mes dents acérées. » (p. 50) Mais derrière cette façade de force et de cruauté se cache une petite fille pleine de peurs qui sont devenues des fantasmes déviants. Sissi attire autant qu’elle effraie. Personne ne peut la sauver et tant pis pour ceux qui s’y risquent. Sissi est borderline. « Je suis une fille de cirque sur un fil d’argent, sans filet, sur le bord de tomber. Les limites sont trop floues, je l’ai déjà dit. Je suis borderline. » (p. 85) Ça n’empêche pas cette belle blonde complètement paumée d’appeler à l’aide, sirène sans promesse, rejetée sur la grève de sa propre existence. « La bouche grande ouverte, j’alerte la terre entière de ma présence. Heille ! Vous autres, je suis là ! Occupez-vous de moi ! Occupez-vous de moi avant que je fasse un malheur. » (p. 117)
J’aurais manifestement dû lire ce roman – premier de l’auteure – avant de lire La brèche. Il permet de comprendre le personnage développé dans ce dernier. Tant pis, tout lecteur a le droit d’être bordélique, borderline. On lit bien ce qu’on veut quand on veut ! Dans Borderline, j’ai retrouvé la même logorrhée, ce même débit infernal : pour ne pas s’entendre, ne pas penser, moins souffrir et moins manquer, Sissi parle encore et encore. Même son silence est tonitruant. Un film a été tiré des deux premiers romans de Marie-Sissi Labrèche, sous le titre de Borderline et produit par Lyne Charlebois. Je vais essayer de mettre les yeux dessus pour renouer avec l’univers si puissant de l’auteure.