Depuis un accident de voiture qui l’a laissé très diminué, August Brill vit chez sa fille Myriam qui peine à se remettre de son divorce. Avec eux vit Katya, la fille de Myriam, qui ne se pardonne pas la mort de son ex-copain en Irak. Torturé par des douleurs intenses et par un esprit jamais en repos, August dort peu. « C’est ce que je fais quand le sommeil se refuse à moi. Couché dans mon lit, je me raconte des histoires. » (p. 12) Il invente un personnage, Owen Brick, catapulté dans une Amérique alternative où les tours jumelles n’ont jamais été détruites, où le conflit en Irak n’existe pas, mais où les États-Unis sont ravagés par une guerre civile. Comment et pourquoi la grande nation américaine en est-elle arrivée là ? Mystère. « Personne ne s’engage. Mais c’est comme ça. Tu vis ta vie et, d’une minute à l’autre, te voilà dans la guerre. » (p. 18) À mesure que Brill invente son histoire, Brick découvre que sa mission dans cette Amérique parallèle consiste à tuer le responsable du conflit civil. « L’histoire est celle d’un homme contraint à tuer l’individu qui l’a créé, et à quoi bon prétendre que je ne suis pas cet individu ? Si je me mets dans l’histoire, l’histoire devient réelle. Ou bien c’est moi qui deviens irréel. » (p. 107) Entre monde réel et monde imaginé, la frontière s’affine : les deux univers se rejoindront-ils ?
J’ai vraiment apprécié les deux premiers tiers du roman qui entremêlent les deux récits. J’aime toujours une mise en abyme quand elle est réussie. Ici, c’est le cas et chapeau bas à Paul Auster pour la finesse avec laquelle il entreprend cet exercice d’équilibre souvent casse-gueule. « Ce que vous dites, c’est que c’est une histoire, que quelqu’un écrit une histoire et que nous en faisons partie. » (p. 19) Le dernier tiers m’a moins enchantée : on se concentre sur August Brill et son histoire d’amour avec sa première épouse, Sonia. Déçue de quitter le double monde, je comprends tout de même qu’une partie du sens de ce roman est qu’il ne faut pas négliger la vie ordinaire au profit des fantasmagories.
Je suis rarement déçue par Paul Auster. Ici, cette lecture ne souffre que d’un infime bémol, l’ensemble est très réussi, à la fois divertissant et profond.