Quand Elizabeth Philpot quitte Londres en 1804, avec ses sœurs Louise et Margaret, pour s’installer à Lyme Regis, elle craint l’ennui lié à la vie dans une petite ville côtière et à sa situation de vieille fille. Mais au gré de ses promenades sur la plage et le long des falaises, elle se prend de passion pour la chasse aux fossiles. Elle rencontre Mary Anning qui, du haut de son jeune âge, est déjà experte sur le sujet. Chez les Anning, la chasse aux fossiles n’est pas un passe-temps, mais un gagne-pain avec la revente des « curios » aux touristes. Mais cela ne suffit pas à Mary qui est convaincue qu’il y a plus grand que les petites pierres : elle sait qu’il y a des créatures gigantesques prises dans les pierres. Son intuition est confirmée par la découverte d’un « crocodile » dans la falaise. En Angleterre et à l’étranger, tout le monde se prend de passion pour les fossiles et tous les gentlemen veulent leur propre collection. Ces nombreuses découvertes soulèvent des questions fondamentales sur l’ordre du monde. « Comment des squelettes d’animaux ont-ils fait pour entrer dans les rochers et devenir des fossiles ? Si les rochers avaient déjà été créés par Dieu avant les animaux, comment se fait-il qu’il y ait des corps d’animaux à l’intérieur des rochers ? » (p. 88) Création du monde, extinction d’espèces, évolution, tant de théories qui émergent et qui suscitent à la fois la fascination des curieux et des scientifiques et le rejet de l’Église. « La géologie doit toujours être utilisée pour servir la religion, étudier les prodiges de la création divine et s’émerveiller du génie de Dieu. » (p. 121)
« Pourquoi est-ce que Dieu ferait des créatures qui n’existent plus ? » (p. 121) Si le sujet principal porte sur des créatures disparues, il est aussi grandement question de créatures bien vivantes et peu ou mal considérées, à savoir les femmes. Mary Anning et Elizabeth Philpot ont existé et se sont heurtées aux conventions et limites de leur temps. Difficile d’être une femme dans une société où la science est l’apanage des hommes et où il est mal vu qu’une femme gratte des pierres, seules sur la plage ou en compagnie d’hommes. « Le nom de Mary ne sera jamais consigné dans les revues ou les ouvrages scientifiques ; il sera oublié. C’est ainsi. Une vie de femme est toujours un compromis. » (p. 241) La narration alterne entre la voix de Mary et celle d’Elizabeth. La première est issue du monde ouvrier, laborieux et souvent miséreux. La seconde a connu l’aisance à Londres et vit encore confortablement avec sa pension. L’amitié entre elles n’est jamais simple : différence de classe, rivalité sentimentale et autres mettent à mal une relation qui est pourtant transcendée par une même passion pour les fossiles.
Simple et efficace, comme le sont souvent les romans de Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures est un texte touchant qui n’a pas volé son succès. Parce que oui, en effet, je le lis 100 ans après tout le monde…