Cycle romanesque de Roger Martin du Gard.
Tome 1 – Tome 2 – Tome 3 – Tome 4 – Tome 5
Dans la famille Thibault, que l’on demande le père, le fils aîné, le cadet ou la fille quasi adoptive, on obtient toujours des personnages doués d’une volonté extraordinaire et pénétré de l’importance de leur nom et de leur famille. « Nous autres, les Thibault, nous ne sommes pas comme tout le monde. Je crois même que nous avons quelque chose de plus que les autres à cause de ceci : nous sommes des Thibault. […] Il doit y avoir en nous une combinaison exceptionnelle d’orgueil, de violence, d’obstination. […] Les Thibault peuvent vouloir. Et c’est pour ça que les Thibault peuvent tout entreprendre. Dépasser les autres ! S’imposer ! Il le faut ! Il faut que cette force, cachée dans une race, aboutisse enfin ! » (Le pénitencier, p. 200 & 201) Il semble que le nom se porte lui-même, qu’il agit sur le monde et sur les êtres sans besoin d’être incarnés. Ce nom, c’est le témoignage et la promesse d’une lignée. S’il manque la particule, la noblesse existe pourtant. C’est une nouvelle noblesse, c’est la bourgeoisie catholique portée à son plus haut niveau.
S’en suit alors l’angoisse de l’héritage et de la survie du nom et de la lignée. « Mais est-ce qu’il n’est pas pénible de penser que tout l’effort d’une vie individuelle viendra peut-être se perdre dans les alluvions anonymes d’une génération ? » (La belle saison, p. 363) Thibault père s’est employé à apposer son nom aux frontons de nombreux édifices et institutions : en le gravant dans la pierre, il avait l’espoir – ou serait-ce l’illusion – de le faire durer toujours. Et pour se démarquer encore, il a voulu extraire son nom du commun de ses homonymes : les Thibault deviennent les Oscar-Thibault. Là encore, le père vit pour toujours auprès de ses fils. Mais le nom se perdra, finalement. Le fils de Jacques n’est pas reconnu et il ne porte que le nom de sa mère. C’est donc dans une famille protestante, cauchemar d’Oscar Thibault, que le dernier des Thibault grandira.
Les trois dernier tomes, sous le titre L’été 1914, sont radicalement différents des deux premiers. Désormais, il n’y a plus que les fils et l’ancien monde a sombré. Aux portes de la guerre, les considérations bourgeoises n’ont plus cours et seule la lutte compte. L’affrontement s’est déplacé : ce n’est plus le père face aux fils, ce sont les frères qui s’opposent. Ils pouvaient faire front commun contre la tyrannie paternelle : orphelins, ils ne peuvent se retourner que contre eux-mêmes.
Sans aucun doute, il y a du Zola dans cette fresque familiale. L’effort de recherche et la minutie témoigne d’un travail préparatoire de qualité et d’une volonté de livrer une œuvre complète et riche. La saga se déploie sur une vingtaine d’années et présente les changements de la société et des mentalités. La Belle Époque disparaît brutalement et bascule dans l’horreur de la guerre. Roger Martin du Gard fait d’Oscar Thibault le dernier représentant d’un certain esprit : c’est un monstre sacré, un dinosaure extraordinaire.
J’ai eu beaucoup de tendresse pour Oscar Thibault. Bien qu’engoncé dans ses idéaux et ses principes moraux, c’est un homme d’une sensibilité latente. Ce n’était pas que de la « violence sous pression, qui toujours menace et toujours se contient. » (La Sorellina, p. 163) Oscar aurait aimé être tendre avec ses enfants, mais il a toujours cédé à l’idée qu’il se faisait d’un vrai père de famille. Les lettres qu’Antoine trouve dans son bureau prouvent qu’Oscar était un homme plein de cœur, mais trop maladroit pour exprimer son affection.
Roger Martin du Gard a dessiné une galerie de personnages secondaires très réussies. Nicole, la vieille Mademoiselle, M. Chasle, l’abbé Vécard ou le diplomate Rummelles représentent chacun une portion de la société ou un trait de caractère particulier. Tous ces personnages entrent en conflit ou résonance avec les protagonistes et créent une illusion romanesque très réussie.
J’ai passé une semaine de lecture riche, émouvante et intelligente avec la saga de Roger Martin du Gard. Si vous avez du temps, je vous la conseille. La langue n’est ni lourde, ni vieillotte et les pages se tournent à toute vitesse ! Et c’est avec plaisir que je reverrai le téléfilm dans lequel Jean Yanne incarnait un très convaincant Oscar Thibault.
Voici ma première participation 2012 au Défi des 1000 de Daniel Fattore.
Tome 1 : 511 pages – Tome 2 : 433 pages – Tome 3 : 436 pages – Tome 4 : 436 pages – Tome 5 : 435 pages.
TOTAL des 5 tomes : 2251 pages