Nell et Eva sont orphelines et vivent seules dans leur maison au fond des bois. Depuis des mois, l’électricité est coupée et le monde est ravagé par des épidémies. « Ici au moins nous étions protégées des obsessions, de la cupidité et des microbes des autres. » (p. 21) Loin de tout, les deux sœurs vivent sur les réserves constituées par leurs parents et attendent un retour à la normale. « Nous arrivons ainsi à faire un seul sachet par semaine, et peut-être que compter les sachets de thé nous en dit plus que n’importe quel calendrier sur le temps qui passe. » (p. 50) Mais à mesure que les jours s’écoulent, l’espoir se fait plus maigre et les rêves sont plus évanescents : Eva n’entrera jamais dans le corps de ballet de San Francisco et Nell ne fera jamais sa rentrée à Harvard. Il n’est plus temps d’attendre le rétablissement de l’ancienne vie : il leur faut embrasser pleinement l’existence nouvelle qui s’offre à elles. « Même se disputer est un luxe qu’on ne peut pas se permettre quand sa vie entière a été réduite à une seule personne. » (p. 104) Le désespoir n’est pas permis et l’attente doit faire place à l’action et la survie. Autour de Nell et Eva, la forêt est à la fois dangereuse et protectrice, inconnue et nourricière.
Écrit en 1996, ce roman survivaliste et postapocalyptique n’a pas pris une ride. Il est glaçant de constater que rien n’a changé – sinon en pire – dans nos modes de consommation depuis la fin des années 1990 et que les alertes déjà lancées n’ont pas été entendues. La grande réussite de ce roman est de construire un huis clos à ciel ouvert : la forêt étouffe autant qu’elle exalte. Les sœurs ne cherchent pas à en sortir et les dangers qu’elle compte sont moins inquiétants que ceux qui viennent de l’autre côté de la lisière. Haletant et très bien écrit, ce premier roman m’a captivée pendant deux belles heures de lecture. Je suis ravie que les excellentes éditions Gallmeister en aient assuré la traduction et la publication en France !