Récit autobiographique de Doug Peacock.
Au retour du Vietnam, Doug Peacock est meurtri. Comme de nombreux vétérans, il ne peut pas oublier les horreurs de cette guerre. C’est dans la nature, dans les derniers grands espaces sauvages d’Amérique qu’il cherche d’abord la sérénité, puis qu’il trouve une raison de continuer à vivre. De 1968 aux années 1980, Doug Peacock suit la trace des derniers grizzlys d’Amérique. « Je reviens sur ces lieux chaque année afin de suivre les ours à la trace et de tenir le journal de ma vie. Lorsque je suis rentré du Vietnam, alors que chaque année aurait pu se fondre dans la suivante, que j’aurais pu me perdre dans mes souvenirs sans que rien ni personne me fasse prendre conscience des années qui passaient, les ours m’ont fourni une sorte de calendrier. » (p. 15)
Le texte mêle les chroniques d’hiver de Doug Peacock et ses souvenirs du Vietnam. Sa découverte des grizzlys le renvoie à ses traumatismes de guerre qui ressurgissent sans crier gare. « Les dix années qu’a duré la guerre du Vietnam ont été perdues pour moi. » (p. 95) Mais, à mesure des étés dans les montagnes du Wyoming ou dans le parc du Yellowstone, Doug Peacock fait battre en retraite ces images d’un autre monde. Loin des hommes et de leurs crimes, il retrouve sa sérénité auprès des ours. « Je n’ai fait preuve d’aucune aptitude à réintégrer la société. » (p. 20) Loin des hommes, il ne perd pas son humanité, mais il cherche quelque chose de plus puissant que lui, une puissance qui ne soit ni nocive, ni destructrice comme peut l’être celle de l’homme. La force brute de la nature remporte le combat face au pouvoir néfaste de la guerre.
L’observation respectueuse des grizzlys est un vibrant plaidoyer pour cette espèce gravement menacée. C’est aussi le combat d’une vie : Doug Peacock a sauvé la sienne en suivant les grands ours et il la met au service d’un animal légendaire. « De mon point de vue, peut-être un peu tordu, sauvegarder les ours était une idée révolutionnaire : une tentative pour empêcher notre monde de devenir complètement dingue. » (p. 124) Doug Peacock dresse le portrait d’un animal dont la noblesse et la puissance ne sont pas vaines : le grizzly ne tue pas par facilité et il renvoie l’homme à ses propres instincts et à sa propre humilité. Mes années grizzly est un hymne à la nature et au monde sauvage. L’auteur exprime à mots à peine couverts sa haine de l’exploitation abusive des ressources naturelles et de l’extermination des grizzlys et autres espèces endémiques d’Amérique. Il ne cache pas un mépris certain pour les grands troupeaux d’élevage qui rappellent si malheureusement la disparition des hordes de bisons et, par là même, la disparition d’une richesse faunistique et floristique.
Cette autobiographie polymorphe parle d’hommes, d’un homme, de nature, de respect, de guerre et d’espoir. L’écriture est puissante, sans compromis : l’auteur lance son message et il n’entend pas cacher la réalité. Un texte essentiel pour les défenseurs de la nature, mais aussi pour ceux qui cherchent comment dépasser et transcender un traumatisme. Et si vous aimez les ours, je vous conseille la lecture de l’essai de Michel Pastoureau, L’ours, histoire d’un roi déchu.