Nous étions les Mulvaney

Roman de Joyce Carol Oates.

« Longtemps vous nous avez enviés, puis vous nous avez plaints. » (p. 13) Dans la petite ville de Mont-Ephraim, les Mulvaney sont connus pour être une famille heureuse, dynamique et dont les membres sont profondément soudés. Jusqu’à un soir de février où un bal de la Saint-Valentin se termine mal pour Marianne, la fille de la famille. Le drame reste un moment secret parce que personne ne le remarque et que Marianne ne dit rien. « Dans une famille, le non-dit est ce que l’on guette. Mais le bruit d’une famille consiste à le noyer. « (p. 145)

Marianne était une jeune fille parfaite, la fille idéale : douce, lumineuse, charitable et populaire. Et les Mulvaney semblaient au-dessus de la honte. Après le drame, la famille est mise à l’index. « Allez tous au diable ! Vous n’avez donc pas pitié de nous ! Nous sommes les Mulvaney. » (p. 396) C’en est fini de l’insolent bonheur qui unissait Corinne, Michael Mulvaney et leurs quatre enfants. L’harmonie est brisée et chacun part de son côté, portant un souvenir dont personne n’ose parler, mais qui obsède les esprits et pourrit les relations familiales. « Quels mots peuvent résumer une vie entière, un bonheur aussi brouillon et foisonnant se terminant par une souffrance aussi profonde et aussi prolongée ? » (p. 666) Il faudra des années pour oublier la colère, la honte et les trahisons familiales.

Le récit est porté par Judd, le petit dernier de la famille qui, des décennies après le drame fait la lumière sur les non-dits et les douleurs qui ne cicatrisent pas. « Mais ce document n’est pas une confession. Absolument pas. J’y verrais plutôt un album de famille. » (p. 18) L’histoire de Mulvaney s’étend de 1955 à 1980 et le récit explore l’avant et l’après du drame. Ce roman est comme une photo de famille encadrée dont le verre s’étoile : à mesure que les fissures s’étendent, l’image se morcelle et la famille se décompose. Joyce Carol Oates utilise à plaisir les prétéritions elliptiques et sibyllines qui annoncent, l’air de rien, toutes les conséquences d’une funeste nuit d’hiver.

J’ai été fascinée par la première partie jusqu’à la révélation du malheur qui a frappé Marianne et, par ricochet, toute la famille Mulvaney. La suite m’a beaucoup plu, mais un peu moins tout de même : sur quelques chapitres, on suit les trajectoires particulières des quatre enfants et des parents Mulvaney. J’ai trouvé quelques longueurs vers le deuxième tiers du récit, mais ce roman de Joyce Carol Oates est passionnant, riche en émotions et en réflexions sur la famille, la réputation, les rapports sociaux et la rédemption.

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