Macon Mort, dit Laitier, est le fils de Macon et Ruth Mort, petit-frère de Magdalene et de Corinthiens Un, neveu de Pilate. Dans la famille Mort, on choisit les prénoms des nouveau-nés en ouvrant la Bible. Laitier fait ses premières armes amoureuses auprès de sa belle cousine Agar qui est folle de lui. Le garçon travaille pour son père et l’aide à encaisser les loyers de ses différentes propriétés. Macon Mort Père est un investisseur immobilier ambitieux. Il est aussi noir, ce qui lui vaut de nombreuses inimitiés au sein de la communauté. « Chaque nègre que je connais veut être cool. On a le droit de rester maître de soi, mais on peut jamais être maître des autres. » (p. 169) Laitier rêve de trouver le trésor familial, fait de lingots, et prétendument caché dans le sud du pays, mais en fait de trésor, ce sont les origines et l’identité de sa famille qu’il va découvrir, les patronymes retrouvés constituant un arbre généalogique extraordinaire, métissé et plein de promesses.
Toni Morrison parle une nouvelle fois du peuple noir et il est impossible de ne pas ressentir l’amour qu’elle lui porte et la peine qu’elle tente de soulager. Elle parle de racisme, des crimes du Klan, des animosités entre nègres et de la justice noire. « Il n’y a pas de Blancs innocents, parce que chacun d’eux est un tueur de nègre potentiel, et peut-être un vrai. » (p. 222) Comme des contes venus d’une terre brûlée et lointaine, l’histoire de Laitier et des siens regorge de légendes et de magie pour expliquer le déracinement d’un peuple. Il est question d’un homme qui vole, d’os gardés dans un sac, de potions qui avivent le désir. Le passé est omniprésent, mais il ne hante pas le présent : au contraire, il le soutient et le justifie, chaque noir étant inconsciemment en quête de ses origines pour comprendre son futur. L’ascendance tronquée par l’esclavage est finalement soignée par la sève d’une branche qui, bien qu’arrachée et replantée dans une terre étrangère et hostile, porte des fruits nombreux et vigoureux. L’identité noire américaine peut finalement s’écrire et elle s’incarne dans le chant de Salomon, à la fois comptine et jeu d’enfants lourds de sens.
Le style de Toni Morrison est toujours aussi chantant et énigmatique. Il est fait d’errances entre passé et présent, d’ellipses et d’espoir. S’il n’est pas toujours aisé de se situer dans un espace-temps, il faut se laisser emporter par le récit qui sait où il va. Il faut faire confiance à Toni Morrison : c’est à dessein qu’elle perd son lecteur, mais elle ne lui lâche jamais la main.