Judas

Roman d’Amos Oz.

« Vous avez quelque chose de désarmant : l’apparence d’un homme des cavernes et l’âme nue d’une montre dont on aurait ôté le verre. » (p. 99) Quitté par sa petite amie, ses finances en berne, son projet de maîtrise à l’arrêt, Schmuel Asch répond à une annonce pour devenir l’homme de compagnie du vieux Gershom Wald. Cet étudiant hypersensible a besoin de se retirer du monde, mais ce n’est pas dans la maison d’Atalia Abravanel, qui héberge le vieil homme, qu’il va trouver la sérénité. Atalia est une femme mûre d’une grande beauté, secrète et insaisissable. Bien que mis en garde par Gershom, Schmuel ne peut contenir sa fascination pour elle et pour son père, Shealtiel Abravanel, ancien proche de Ben Gourion mis à l’index et accusé de traîtrise pour avoir porté l’idée d’un état judéo-arabe. « Il soutenait dur comme fer que le sionisme ne pourrait pas se réaliser dans un conflit avec les Arabes, alors que moi, j’avais compris à la fin des années 1940 qu’on ne pourrait faire autrement pour atteindre notre but. » (p. 201)

Schmuel tente de progresser dans son travail qui traite de la place de Jésus dans la tradition juive. À mesure qu’il réfléchit, il lui semble que Judas mérite bien peu son statut son traître, lui qui est le premier chrétien. La naissance du christianisme se fonde sur un rejet des Juifs et de leur félonie à l’égard du Sauveur. Première d’une longue méprise et premier crime à l’égard du peuple dont Jésus n’a jamais voulu réformer la Loi. « Pour assassiner une divinité, il faut être plus puissant qu’elle, infiniment féroce et cruel. Jésus de Nazareth était une créature divine plein de bienveillance et d’amour. Son meurtrier devait être plus fort, plus rusé et répugnant. Ces misérables déicides n’étaient en mesure d’exécuter leurs actes que s’ils disposaient des monstrueuses ressources du pouvoir et du mal. Voilà comment le Juif est perçu dans l’imaginaire de ses ennemis. Nous sommes tous des Judas. Même après quatre-vingts générations. » (p. 45)

Dans la maison de la rue Harav Elbaz, loin de trouver des réponses à ses questionnements ou d’apaiser son cœur meurtri, Schmuel fait l’expérience du désir fou et de l’interrogation permanente. Pourquoi le père d’Atalia n’a-t-il rien écrit après son exclusion du parti sioniste ? Qui de Jésus ou de Judas est le fondateur de la religion chrétienne ? La figure du Juif traître est-elle indéboulonnable dans l’imaginaire chrétien ? Alors qu’il découvre le terrible lien qui unit Atalia et Gershom, Schmuel passe un hiver de réclusion dans une maison qui abrite bien des fantômes : celui de Shealtiel Abravanel, celui du fils de Gershom et celui avorté de l’état judéo-arabe.

J’ai moins apprécié ce roman que Une panthère dans la cave et Scènes de vie villageoise. En fait, je me suis un peu ennuyée. J’espérais pouvoir m’attacher à Schmuel et éprouver une vive empathie pour lui, mais son retrait permanent face à ses propres désirs me l’a rendu lisse et terne. Atalia, bien que fascinante, est un personnage vénéneux et classique de femme fatale. En revanche, j’aurais voulu en entendre plus de la part de Gershom, intellectuel isolé obligé de payer pour avoir de la compagnie et quelqu’un avec qui discuter. Bien que ce roman apporte un éclairage précieux et profond sur la constitution de l’État d’Israël et le mouvement sioniste, il m’a manqué la poésie que j’avais tant appréciée dans mes précédentes lectures d’Amos Oz. Mais je ne m’en tiendrai pas là avec cet auteur : je sais qu’il a encore de nombreuses merveilles à m’offrir.

Quelques extraits pour vous convaincre (ou non) de lire ce roman.

« Curieux, plus les Juifs contestent les histoires surnaturelles qui entourent la conception et la naissance de Jésus, sa vie et sa mort, plus ils s’évertuent à esquiver la dimension spirituelle et morale de son message. Comme s’il suffisait de réfuter les prodiges et de nier les miracles pour supprimer son enseignement. Bizarrement, aucun de ces écrits ne mentionne Judas Iscariote, sans qui la crucifixion n’aurait probablement pas eu lieu. Or il n’y aurait pas eu de christianisme sans crucifixion. » (p. 88 & 89)

« Tout le pouvoir du monde serait impuissant à faire d’un fanatique un modéré. Tels sont les problèmes existentiels de l’État d’Israël : convertir un ennemi en amant, un fanatique en tolérant, un vengeur en allié. » (p. 110 & 111)

« Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les Juifs ont rejeté le christianisme. Jésus n’était pas chrétien. Il est né et mort juif. Il n’a jamais eu l’intention de fonder une nouvelle religion. » (p. 116)

« Judas ou pas, la haine des Juifs n’aurait pas cessé pour autant. Avec ou sans Judas, le Juif jouerait toujours le rôle du traître aux yeux des croyants. » (p. 245)

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